« Un rêve plus long que la nuit », un conte cruel et joyeux de Niki de Saint Phalle

À travers le rêve d’une petite fille, Niki de Saint Phalle dénonce les violences vécues par les femmes dans un monde d’hommes. Un conte baroque, en forme de récit initiatique, peuplé de créatures extraordinaires et où se mêlent tragique et grotesque.

Un rêve plus long que la nuit
© Niki Charitable Art Foundation

Deuxième long métrage de la plasticienne Niki de Saint Phalle – après Daddy,  histoire largement autobiographique d’une relation incestueuse entre un père et sa fille – Un rêve plus long que la nuit, sorti en 1976, revient cet été sur les écrans, en version restaurée, à l’occasion des expositions qui lui sont consacrées au Grand Palais de Paris – « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén, » – et à l’Hôtel de Caumont à Aix – « Niki de Saint Phalle, le bestiaire magique ». Un film étrange qui se veut une réinterprétation des contes de fées, un récit initiatique qui met en images les fantasmes et les terreurs de l’enfance et surtout la violence vécue par les femmes dans un monde d’hommes.

Un rêve plus long que la nuit : AfficheUne petite fille de onze ans, Camélia, entre, par la magie d’un conte que lui lit son père – Jean Tinguely, le mari de Niki de Saint Phalle – dans le royaume du Dragon, puis celui de la Sorcière, avant qu’une femme vêtue de noir n’exauce son voeu de devenir une grande personne… Là voilà transformée en une belle jeune femme à la mousseuse chevelure blonde – incarnée par Laura Condominas, la propre fille de l’artiste – partie à la recherche d’un trésor et désormais exposée à la convoitise des hommes. Elle se promènera au bras d’un roi, , vêtue d’une robe de mariée et au son des percussions discordantes de Peter Whitehead, au coeur d’une gigantesque machine qui broie des théières à la chaîne – le Cyclop, sculpture métallique monumentale créée par Saint Phalle et Tinguely – avant de se retrouver, en tenue bien plus légère, dans un lupanar tenu par Niki de Saint Phalle elle-même et bientôt envahi par des hommes à la virilité… exubérante.

C’est dans un univers de fantaisie, à la fois joyeux et inquiétant que nous fait entrer le film. En dehors des réminiscences qu’on peut y lire – Lewis Carroll, Alfred Jarry, les contes de fées, les Monty Python, l’obscénité carnavalesque – « Un rêve plus loin que la nuit » nous ouvre les portes d’un monde peuplé par les oeuvres de Niki de Saint Phalle et de Jean Tinguely.. Le parcours de Camélia s’appuie sur les figures du jeu de tarot qui sont au centre du « Jardin des tarots », que l’artiste a créé en Toscane. Un univers baroque, où se succèdent des personnages étranges, tels que le Général Rose, des hommes-lézards, un nain aux neuf vies, un « miracologue », marqué par des débordements en tous genres, et où une sexualité débridée occupe une place croissante, matérialisée par des phallus surdimensionnés qui s’exhibent fièrement avant d’exploser en confettis ou de partir faire la guerre.

Inutile de chercher une cohérence narrative dans ce flux d’images plus déconcertantes les unes que les autres. On comprend rapidement qu’il convient de se laisser aller à leur fantaisie onirique, aux associations d’idées qui les font se succéder, au plaisir de se perdre dans ce qu’elles suggèrent. Mais cette fantaisie joyeuse et transgressive ne parvient pas à dissimuler la violence d’un monde adulte patriarcal et dégénéré que Camélia observe avec une forme de sidération. Le tragique affleure sans cesse derrière le grotesque car sI la virilité conquérante est tournée en ridicule, elle n’en perd pas pour autant son pouvoir mortifère. Pourtant, la confrontation finale entre la jeune femme et la petite fille qu’elle a été, si elle donne l’image d’une enfance saccagée, laisse place à l’espoir du départ vers un monde où la « femme en trompe l’oeil » sera libre d’affirmer son identité.

Anne Randon

Un rêve plus long que la nuit
Film de Niki de Saint Phalle, version restaurée
Avec Laura Condominas, Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle, Andrée Putman…
Durée : 1h22
Date de sortie : 1976
Sortie de la version restaurée : 18 juin 2025

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