« Confidente » de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti : Huis clos sous haute tension

Avec Confidente, Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti offrent à Saadet Işıl Aksoy un rôle intense de femme assiégée, entre tension façon The Guilty et réquisitoire politique contre la domination masculine. Dommage que l’intrigue peine à convaincre.

Confidente
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Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, couple franco-turc à la ville comme à l’écran, travaillent ensemble depuis près de vingt ans. Remarqués dans les festivals, leurs films précédents ont malheureusement – surtout dans le cas de Sibel en 2018 – eu du mal à percer au milieu de l’abondance des sorties sur les écrans français. Les critiques, généralement positives, ont relevé que leur cinéma (ils écrivent et réalisent leurs films) se nourrit de thématiques universelles – liberté, identité, oppression –, mais ancrées dans une situation politique et sociale spécifique (au Pakistan, au Japon, en Turquie) et un territoire précis, qu’ils filment avec une grande attention portée à l’humanité de leurs personnages.

Confidente afficheAvec Confidente, Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, qui se sont déclarés, dans un récent interview donné à Trigon-film, proches du cinéma de genre, délaissent les grands espaces et l’approche contemplative de Sibel pour un thriller psychologique resserré, volubile, tourné en intérieur. Un changement radical, né de leur volonté de traiter de manière respectueuse et détournée les deux grands séismes qui ont marqué la Turquie, d’explorer la façon dont l’histoire se répète, entre la modernité affichée du pays et ses archaïsmes persistants… sans même parler de la corruption endémique des politiciens.

Nous voici donc « enfermés » pendant une heure et quart de film, correspondant à ce qui semble être une soirée et une nuit pour les personnages, dans un call-center érotique d’Ankara comme il en existait, semble-t-il, beaucoup en Turquie en 1999. Arzu (Saadet Işıl Aksoy, magnétique, littéralement extraordinaire à chaque instant) travaille clandestinement pour payer son avocat et récupérer la garde de son fils. Handicapée, rompue à l’art de la conversation téléphonique, elle va se retrouver entraînée dans un engrenage où chaque appel peut faire basculer son destin.

Trois points frappent d’emblée. D’abord, la maîtrise formelle de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, qui jouent admirablement du huis clos en exploitant le hors-champ visuel et sonore : ce qu’on ne voit pas, ce qu’on devine au bout du fil, devient la matière même du suspense. Cadrages serrés, espace restreint, travail sonore immersif, tout concourt à matérialiser l’étau qui se referme sur l’héroïne. Ensuite, la puissance politique et féministe du propos, nourrie par l’histoire personnelle et sociale d’Arzu : figure à la marge de la société, elle passera, au cours de la nuit, du mensonge contraint (…que l’on peut également lire comme un plaisir réel à construire des mini-fictions, thème explicitement évoqué dans une conversation avec un client écrivant un scénario) à une parole revendicatrice exprimée face aux journalistes, et en plein jour. Enfin, il y a la performance de Saadet Işıl Aksoy, à la fois fragile et déterminée, qui porte tout le film sur ses épaules. Sans elle (et sans la direction évidemment très juste des auteurs), il n’y aurait tout simplement pas de film.

Il est impossible de ne pas penser à The Guilty, un autre huis clos construit sur la tension d’un personnage unique, passant presque tout le film au téléphone. Mais là où le film danois (et son décevant remake US) misait sur un suspense chirurgical de pur thriller, Confidente varie les registres – humour, émotion, terreur – et déploie une réflexion politique sur les contradictions de la Turquie, entre la libéralisation des années 1990 et le retour contemporain à la régression, entre le contrôle accru de l’Etat sur les comportements individuels, la violence masculine contre les femmes, et l’incompétence et la corruption des gouvernants.

Il est dommage que le scénario – un élément fondamental pour que fonctionne le « thriller » – souffre d’un excès de coïncidences et de retournements forcés qui grippent par moments la mécanique de la tension. Du fait de ces défauts occasionnels de crédibilité de l’intrigue, le spectateur se surprendra à observer le dispositif à l’œuvre à l’écran plutôt qu’à vivre pleinement le film, au détriment de l’impact émotionnel final.

Confidente reste néanmoins une œuvre originale, forte, habitée, portée par une héroïne courageuse et obstinée, comme les aiment Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti : une femme capable de fissurer les murs invisibles qui l’entourent. On veillera désormais à la sortie des prochains films de ce duo qui mérite toute notre attention.

Eric Debarnot

Confidente
Film en co-production luxembourgeoise, française et turque de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti
Avec : Saadet Işıl Aksoy
Genre : thriller, drame
Durée : 1h16
Date de sortie en salles : 6 août 2025

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