Sorj Chalandon revient à l’autobiographie avec Le Livre de Kells. Dans ce roman d’apprentissage, il raconte ses débuts à Paris, dans la rue, ses engagements politiques et ses rencontres fondatrices. Un récit sincère et bouleversant sur la colère, la liberté et la fin des illusions.

Deux ans après la parution de L’Enragé, dans lequel il racontait le sort d’un gamin du bagne pour enfants de Belle-Île-en-Mer en 1934, Sorj Chalandon rouvre la boîte à souvenirs et retrouve sa veine autobiographique avec Le Livre de Kells.
S’il a déjà évoqué son enfance à travers plusieurs livres (Le Petit Bonzi, Profession du père, Enfant de salaud), cette fois, il revient sur son entrée dans la vie adulte, dans un récit où il se livre, comme toujours, avec beaucoup de sincérité.
Kells, c’est le nom d’un personnage tiré d’un récit celtique du IXᵉ siècle, qu’il va emprunter, lorsqu’à 17 ans, il quitte Lyon pour « monter » à Paris après avoir claqué la porte de la maison. Bien décidé à fuir définitivement ce père tyrannique, mythomane et aux idées nauséabondes — celui qu’il appelle « l’Autre » —, il choisit une forme d’émancipation presque contrainte mais vitale, qui va lui ouvrir tout grand les portes de la vie, dans toute sa dureté. Sans un sou ou presque, avec seulement un billet de 100 francs donné par sa mère, il arrive à Paris en 1970, après quelques semaines d’errance.
Kells est alors à la rue et va faire diverses rencontres, dont certaines seront décisives quant à son engagement idéologique et politique. Il va se lier d’amitié avec des « Maos », (une branche de la Gauche prolétarienne) engagés dans des actions parfois virulentes. Au sein de cette nouvelle « famille », il découvre la lutte, participe à des actions parfois violentes, se frotte aux au flics et aux crânes rasés de l’extrême droite, mais apporte aussi son aide à des enfants de familles immigrées vivant dans les bidonvilles de Nanterre, en faisait de d’alphabétisation. La suite, on la connaît à peu près : un peu par hasard, et grâce à un dessin de presse, Sorj Chalandon réussira à entrer par la petite porte au journal Libération, amorçant le début d’une grande carrière de journaliste et France et dans le Monde.
Avec Le Livre de Kells, Sorj Chalandon nous offre un beau et bouleversant roman d’apprentissage. Il y raconte ses années de colère et de révolte avec la franchise qui le caractérise, esquissant des portraits d’hommes et de femmes qui ont compté pour lui à ce moment-là, dans un récit nourri d’anecdotes, de moments de vie et d’émotions brutes.
C’est à la fois un récit intime et un voyage dans le temps, qui éclaire ce qu’était l’engagement politique à cette époque, les formes qu’il pouvait prendre, les espoirs qu’il faisait naître… et aussi la fin des illusions, qui, pour beaucoup, a sonné trop tôt.
Benoit RICHARD