Après des prestations réussies de Cast et de Richard Ashcroft en première partie, un Oasis reformé s’est montré à la hauteur du public survolté du Scottish Gas Murrayfield Stadium d’Édimbourg. Avec ce contraste, typique de bien des grands groupes de Rock anglais, entre un frontman grande gueule et un guitariste plus profil bas.
La reformation d’Oasis a fait beaucoup parler. D’abord parce que sa tournée évite pour le moment l’Europe continentale. Souvenir de la dispute de Rock en Seine ayant provoqué la séparation du groupe ? Et bien sûr pour l’épisode de la tarification dynamique des places. Un système injuste existant depuis longtemps dans le monde anglo-saxon. Mais il a fallu Oasis pour que les politiques s’en émeuvent. Au Royaume-Uni, le gouvernement a vite déclaré se saisir de l’affaire. Qu’il faille cela pour que le politique s’en préoccupe raconte la place du groupe dans l’inconscient national britannique.
Déjà, l’énorme succès du groupe à la maison a beaucoup à voir avec son lien avec là où en étaient les classes populaires anglaises au milieu des années 1990. Elles avaient subi le démantèlement de l’industrie et du modèle social sous un interminable règne thatchérien. Un long tunnel qu’une partie d’entre elles a voulu oublier en se noyant (au choix) dans l’alcool, la défonce et une attitude grande gueule.
On pense à Trainspotting, le roman (écrit par un Ecossais et situé à Édimbourg) et surtout un film dans lequel la working class s’est reconnue. Oasis, c’est un peu comme si des personnages du film avaient formé un groupe et étaient devenus aussi « big » que Rod Stewart. Les prolos avaient un « représentant » sur la scène rock britonne, au milieu d’une Britpop majoritairement composée d’ex-étudiants en architecture (le rival Blur, par exemple).
Réalisatrice du court Wonderwall montré cette année à la Semaine de la critique, la cinéaste Roisin Burns parle de Liam Gallagher comme d’un prolo d’origine irlandaise. Comme pas mal d’Anglais du Nord industriellement sinistré, comme aussi… certains Smiths, certains Beatles ou Johnny Rotten. Dans un pays où l’accent est un marqueur immédiat des origines sociales, elle évoque un chanteur en qui les classes populaires se reconnaissaient car il avait leur accent. Dans cette optique, le symbole de la tarification dynamique est malheureux.
Mais Oasis a plus globalement incarné un pays redevenant optimiste parce que la croissance était de retour. Il a incarné les années Blair pour cette raison, et parce qu’il avait alors apporté son soutien au candidat travailliste. Un candidat ne proposant pas de vraie rupture avec Thatcher et ayant de plus annoncé la couleur. Mais, parce que le pays redécouvrait l’alternance, la population a projeté sur cet ex-locataire du 10 Downing Street (désormais impopulaire) un espoir de changement. Le pays n’était pas encore visiblement fracturé par un Brexit qui transforma un temps la vie politique locale en farce digne des pires moments de la politique italienne.
Au-delà de la popularité du groupe, c’est sur le souvenir d’une époque d’espoir que surfe à domicile le battage médiatique autour de la reformation. Considéré à la maison comme un Trésor National, Oasis est très loin d’être le groupe le plus novateur de l’histoire du Rock anglais. Sur ses deux (et meilleurs) premiers albums, Noel Gallagher proposait (et cela me suffisait largement) un excellent artisanat pop mis au service d’une palanquée d’hymnes imparables. Mais il partage avec les Beatles et les Stones le fait d’avoir été la parfaite incarnation de l’esprit d’une époque au Royaume-Uni (une page du roman national, en somme)… tout en ayant eu du succès à l’export.
Puisqu’on a parlé de symbole, le passage du groupe en Écosse en est un. Le succès du groupe est en effet en partie lié à Alan McGee. Un régional de l’étape, boss de feu le label Creation, qui découvrit Oasis lors du mythique « concert de première partie de Glasgow où le groupe s’était au départ fait refuser l’entrée ». Février 1994 le transforme en nouvel Andrew Loog Oldham (manager qui marketa les Stones comme des Bad Boys face aux « gentils » Beatles). Un voyage du groupe en ferry pour une première partie de The Verve à Amsterdam va dégénérer en alcoolisme, baston et arrestations. Seul non menotté, Noel appelle un McGee exprimant une surprenante satisfaction. L’Ecossais avait compris que le groupe pouvait faire sa publicité par ses frasques.
Édimbourg, 12 août 2025 : la troisième et dernière date écossaise du groupe. Un choix calendaire ayant agacé les autorités locales. Gérer l’afflux de touristes lié au groupe ne représentait en effet pas une perspective réjouissante dans une période déjà fortement touristique en temps normal. Celle du Fringe Festival, sorte d’Avignon local jouant un rôle-clé dans l’excellente série Mon Petit Renne.
Les tabloids ont en outre pimenté les choses en faisant fuiter des extraits des réunions de sécurisation des concerts. Certains élus locaux se seraient inquiétés du profil « inquiétant » des fans du groupe, selon eux des ivrognes d’âge moyen particulièrement bruyants. Spécialiste du tacle verbal, Liam ne s’est bien sûr pas privé de reprendre de volée ces propos supposés. Ce qu’il fera de nouveau lors du concert.
Dès le matin, Princes Street, artère commerçante centrale d’Édimbourg, présente déjà une forte densité de T Shirts Oasis. Qui se produit pour la dernière fois au Murrayfield Stadium. Un stade dédié normalement au Rugby dans lequel, depuis une tribune haute, les conditions acoustiques étaient satisfaisantes lors du concert. Un concert pour lequel venir tôt valait la peine au vu de la double première partie.
Tout d’abord Cast, groupe de John Powers, ex-bassiste des La’s. Les La’s, groupe de Liverpool dont le beau et unique album studio à la coloration sixties revendiquée fut une inspiration pour Oasis. De Cast, je gardais le mauvais souvenir d’un concert au Festival de Reading 1997, mais j’ai pu réviser mon point de vue sur Cast en live à Murrayfield. La musique est certes toujours du mauvais revival 1960s. Mais la prestation offerte par le groupe à Murrayfield est concernée, énergique juste comme il faut, et d’excellente tenue. Le chanteur prend parfois des poses mille fois vues dans l’histoire du Rock, mais au moins l’émotion est là. La fosse VIP applaudit pendant que la fosse non VIP doit encore se remplir.
Suit un autre artiste déjà vu live. Ex-leader de The Verve, Richard Ashcroft m’avait en revanche laissé un excellent souvenir à La Cigale, à l’occasion de la sortie de son excellent premier album solo. Pour un set faisant la part belle aux classiques d’Urban Hymns de The Verve. Un set dont le seul défaut est d’être trop court. Il faut dire que de l’autre côté de la Manche on ne plaisante pas avec l’heure de couvre-feu, même lors d’une grande demi-finale tennistique, même lorsque Springsteen et McCartney sont sur scène.
Quand Ashcroft arrive, tout bascule déjà dans une autre dimension. Autour de moi toute la tribune se lève illico. Le set a comme point d’orgue The Drugs don’t work, joué à la guitare acoustique avant que la batterie ne se pointe à retardement. Un morceau interprété de façon poignante, un chef d’œuvre sur lequel plane le fantôme des Stones de Wild Horses. Et pour continuer le karaoké général c’est Bittersweet Symphony finissant par de la wah wah. Ashcroft savoure son triomphe romain bière en main. Et rideau.
Quelques minutes plus tard, on entend Get Back des Fab Four, chanté en chœur par le public, puis Born Slippy d’Underworld. Des ballons volent dans les deux fosses. Suit un clip sur la reformation au montage indigeste. Oasis arrive alors et débute par un Hello de circonstance. Liam, grande gueule et K Way noir, à l’opposé du côté plus sentimental dégagé par le frangin Noel. Des verres de bière en plastique sont vite lancés en l’air par certains membres du public.
Souvent immobile les mains derrière le dos (comme un prêtre de la bonne parole Rock ?), Liam est pourtant plus charismatique qu’un Alex Turner. Le privilège des vraies stars. A ses côtés la section rythmique fait bien le job en mode profil bas. Noel s’illustre dans les solos, entre autres sur celui de Morning Glory. Il joue devant un carton à l’effigie de Pep Guardiola, coach de Manchester City, le club de Football déjà soutenu par les frangins du temps où ce dernier ne disposait pas de son actuelle opulence.
Pour Cigarettes & Alcohol, Liam demande au public (qui s’exécute bien sûr) de tourner le dos en début de morceau. Dont le « trouver un travail quand il n’y a rien qui vaille la peine de travailler » semble faire écho à un autre classique mancunien, le Heaven knows I’m miserable now des Smiths, dans lequel le travail se révèle incapable de remédier à la dépression. Boogie poussif dont la sortie en single ne laissait alors pas augurer la claque que serait (What’s the Story) Morning Glory?, Roll with it déclenche des sauts dans la fosse.
Plein de modestie et légèrement courbé sur sa guitare, Noel va avoir droit à son moment Keith Richards sur Talk Tonight, Half the World Away et Little by Little. Des parties seul au chant mettant en évidence la différence entre son style de voix classique et le timbre plus contemporain de Liam. Pour le premier, tout est question d’émotion. Pour son frère, le chant est d’abord question de gouaille et d’attitude plutôt que de « beau chant ».
On est au début surpris de voir le public chanter la Face B Half the World Away avec autant d’ardeur qu’un Supersonic quelques instants auparavant. Il faut dire que le morceau a été utilisé au générique de The Royle Family, sitcom culte Outre-Manche. Liam revient sur deux titres (D’You Know What I Mean? et Stand by Me) tirés d’un Be Here Now qui incarna le début de la perte d’inspiration.
Avant que le groupe ne finisse la partie pré-rappel au canon. Sur les ballades Cast no shadow et Slide Away, le concert atteint une forme d’Everest, mélange de la nuit tombée et d’un groupe au diapason de son public. Puis c’est Whatever, Live Forever… et Rock’n’Roll Star. Le morceau par lequel Liam proclame ce qu’il est, celui de ceux et celles qui se rêvent Rock star d’un soir après une dure semaine.
Le rappel s’ouvre avec une autre séquence Noel au chant. D’abord l’excellente Face B The Masterplan. Et bien sûr le plat de résistance Don’t Look Back in Anger, début d’une fin en apesanteur. La manière dont tout le stade reprend le morceau a quelque chose d’unique, de bouleversant. Retour de Liam avec Wonderwall, chanson signature du groupe. Avant la conclusion Champagne Supernova, et un feu d’artifice se déclenchant tandis que le morceau est en train de s’achever.
Au cours du concert, Half the World Away a été dédié aux fans argentins du groupe, Stand by Me à Susan Boyle et Don’t Look Back in Anger aux jeunes fans du groupe. Il faut mentionner à ce propos que le documentaire de 2016 sur le groupe (Supersonic) a suscité à domicile un intérêt d’une partie du jeune public pour Oasis. Pour de multiples raisons : symbole d’une période historique du Royaume paraissant moins « compliquée » vue de 2025, contraste entre Liam et le parler plus policé des pop stars actuelles…
Durant le concert, Liam a fait un signe de croix. Demandait-il à Dieu de le protéger contre une nouvelle dispute avec son frère tant que dure la tournée ? La prestation solo décriée de 2024, en préambule d’une soirée de boxe, semble en tout cas avoir été l’électrochoc nécessaire pour être à la hauteur de ce qu’offre au groupe le public des concerts de la tournée. Qui finira par passer par l’Europe continentale si la trève entre les frères Gallagher se prolonge ?
Cast :
Richard Ashcroft :
Oasis : (groupe) /
(public)
Ordell Robbie
Oasis au Scottish Gas Murrayfield Stadium (Edimbourg)
Production : Live Nation, SJM Concerts, MCD Promotions et DF Concerts
Date : 12 août 2025
NDLR : En l’absence de nos photographes sur les lieux, nous avons décidé de publier cette passionnante live review avec des photos d’une qualité inférieure à celle que nous essayons de privilégier : l’importance de l’événement le justifie à nos yeux !