… et comme ce dimanche à RES était riche, voici une dernière chronique couvrant trois groupes importants que nos deux autres rédacteurs n’ont pas pu aller voir : Sharon Van Etten & The Attachment Experiment, Kneecap et SUUNS !
Sharon Van Etten & The Attachment Theory, Scène du Bosquet, 16h30 – 17h20
Toute de noir vêtue, dans une frêle robe d’été, la reine Sharon Van Etten s’avance, accompagnée de son groupe The Attachment Theory, dans le soleil de l’après-midi qui castagne, et éblouit pleine face les musiciens sur la scène du Bosquet, devant un nombreux public, très attentif.
Accompagnée du collectif de musiciens avec qui elle a enregistré son – très réussi – dernier album, porteuse d’un message d’ouverture (groupe présenté comme LGBT+), elle balance trois tubes imparables du dernier album (Live Forever / Afterlife / Idiot Box), poignants et lyriques à la fois. Tout est en place, malgré la luminosité : la voix, la robe, la musique. Comeback Kid et, surtout, Anything, nous rappellent la qualité du répertoire d’avant, s’il en était besoin.
A mi-parcours, patatras, c’est le drame, au moment de lancer Something Ain’t Right – ça ne s’invente pas ! – une bretelle de sa robe se casse, et Sharon Van Etten à demi dévêtue doit se faire rhabiller promptement en bord de scène, témoignant de la capacité toute américaine à gérer efficacement une situation « de crise ». Recouverte d’un gilet noir, qui donne encore plus chaud aux spectateurs, la chanteuse garde sa contenance, pour aborder une seconde partie de set comprenant notamment une très belle chanson de transition, Trouble, qu’elle magnifie toujours par le caractère impérial de sa voix. Puis de conclure sur la magnifique Seventeen, universelle (I used to be free I used to be seventeen / / Follow my shadow / Around your corner / I used to be seventeen / Now you’re just like me). Court (50 mn) comme prévu, néanmoins splendide.
Kneecap, Scène du Bosquet, 18h25 – 19h25
Vingt-cinq minutes avant l’entrée en scène du gang nord-irlandais, la foule est déjà nombreuse et déborde largement le périmètre « naturel » de la Scène du Bosquet, beaucoup trop petite pour ce qui est devenu un événement à la une des média français ce dimanche 24 août, allant bien au-delà du simple concert. Faut-il rappeler que Mo Chara, un des trois musiciens, est poursuivi pour infraction terroriste après s’être couvert d’un drapeau du Hezbollah, classé terroriste au Royaume-Uni, lors d’un concert l’an passé à Londres ? Et que la Région Ile-de-France, comme la ville de Saint-Cloud, ont annulé leurs subventions à cette édition du festival en raison de cette programmation ? Concert annoncé sous haute tension et sous haute sécurité, mais sur la petite scène quasi champêtre du Bosquet, le long de sa rangée d’arbres.
On s’interroge : pourquoi les organisateurs les ont-ils programmés ici ? Sans doute est-ce un choix représentant une solution de compromis. On maintient Kneecap au programme au nom de la liberté d’expression, mais on ne les expose pas trop – plutôt au Bosquet que sur la Grande Scène ou à la Cascade (renomméee « Revolut », il faut vivre avec son temps) – pour ne pas prêter le flanc aux accusations de dérouler le tapis rouge non plus. Cela ferait sens, si l’on se place du point de vue des organisateurs.
L’effet Kneecap s’est fait sentir dès les contrôles sécurité, minutieux comme jamais. Il va se poursuivre avec l’onde de tension se propageant pendant la préparation de la scène, avec des masses de spectateurs aux drapeaux irlandais comme palestiniens s’agglutinant, puis dès le début du « show », avec de grands messages accusant « le gouvernement d’Israël » de génocide, Benjamin Netanyahou d’être un criminel de guerre, et la France de complicité, compte tenu de ses ventes d’armes. Une fois sur scène, le trio annonce la couleur, appelant à plus d’amour que certains spectateurs « siffleurs » au premier rang et essayant de perturber le concert, ces militants d’un collectif contre l’antisémitisme étant vite évacués par le service d’ordre… Remerciant les organisateurs pour avoir maintenu leur prestation, les Kneecap déplorent, ou font semblant de déplorer, qu’il y ait eu beaucoup de bruit autour de celle-ci, en indiquant « n’avoir pas attendu le 7 octobre pour parler de Palestine » et dégainant l’argument suivant : « Le peuple irlandais a toujours été du bon côté de l’histoire ».
Et la musique dans tout ça ? Epaulés par des projections (comme sur l’entraînant Your Sniffer Dogs are Shite), ils enchaînent avec efficacité leurs morceaux de hip hop rentre-dedans en anglais et en gaélique, mais musicalement sans grande surprise, et toujours en revenant entre les morceaux au fil rouge : « Free Palestine ! » Sur le strict plan du « show », un peu répétitif !
Leurs principaux messages seront repris, de manière plus ponctuelle, en fin de concert, par leurs collègues de Fontaines D.C. deux heures plus tard, qui leur dédicacera (ainsi qu’à Mo Chara) un morceau (Favourite).
Désormais, le groupe n’est plus vraiment « confidentiel en France » comme l’indiquaient les organisateurs au moment de confirmer et justifier le maintien de leur programmation. Depuis, surfant sur cette nouvelle notoriété dans l’hexagone, Kneecap et son tourneur ont déjà annoncé quatre dates supplémentaires à Paris, en septembre et novembre. On imagine les autorités ravies.
Suuns, Scène du Bosquet, 20h30 – 21h40
Difficile de rallier la Scène du Bosquet, à l’autre bout du site, une fois le concert de Fontaines D.C. achevé, alors que 25 à 30 000 personnes évacuent, très lentement, vers les autres scènes ou vers la pléthorique offre de restauration. Nous arrivons tant bien que mal à attraper la deuxième partie de Suuns, déjà lancé sur ses rails électro-rock.
Devant un public clairsemé de 400 à 500 personnes, l’ex quatuor, désormais trio, canadien piloté par Ben Shemie convainc comme sur son dernier album en date (The Breaks, 2024) : par moments. On apprécie la déclinaison du morceau éponyme The Breaks, une des rares chansons un peu marquantes de l’album, ou quand il sort l’artillerie, à coup d’effets électro massues, et même de basses dignes du trip-hop canal historique en intro de 2020. Les musiciens sont sympathiques, d’autant que Ben Sheemie fait même l’effort de parler et de remercier le public dans un français parfait (« Merci de partager ce moment avec nous, c’est vraiment cool »), mais, globalement, et on le regrette, le groupe confirme sur scène être plutôt sur la pente stagnante voire descendante – peut-être desservi aussi par un horaire vraiment pas facile (en fin de festival, et juste à côté de la sortie).
Pour un avis, et dans un contexte, différents, le concert donné à la Route du Rock à Saint-Malo quelques jours auparavant semble avoir été plus favorable pour le groupe.
Alors que Suuns conclut sa grosse heure de set tranquillement, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour Bryan’s Magic Tears, qui écopera quarante minutes après du pire créneau de tout le festival : le dernier groupe à jouer, sur la Scène du Bosquet, à la même heure que la tête d’affiche sur la Grande Scène. Qu’a fait notre gang shoegaze national préféré, qui y avait été impeccable au soleil il y a 3 ans, pour mériter pareille punition ?…
Sharon Van Etten :
Kneecap :
Suuns :
Jérôme Barbarossa
Photos : Laetitia Mavrel