Le récit de notre dimanche passé obstinément agrippés à la barrière devant la Grande Scène, lors de la seule journée de Rock en Seine réellement dédiée au « Rock »…

En août 2024, nous avions vécu un beau Rock en Seine, qui semblait marquer un retour aux fondamentaux du festival, qu’il porte (fièrement ?) dans son nom : le Rock. Hélas, nous nous sommes bercés d’illusions en imaginant terminée la phase de la banalisation du festival dans une marée de musiques « contemporaines » indignes de son glorieux passé : l’édition 2025 s’est avérée, elle, tragique pour les amateurs de Rock (eh oui, il en reste en France), avec une seule journée, celle du dimanche, pour défendre la musique que nous aimons. Un mauvais calcul, en fait, puisque la plupart des amateurs de Rock ont fait totalement l’impasse – soit une grande première ! – sur l’intégralité des autres journées du Festival… Et puis, même pour nous, les « endimanchés », la concentration de groupes et d’artistes intéressants sur une même journée nous a obligé à des choix cornéliens. Et donc frustrants. Notre décision a été de nous résoudre à ne pas voir ni King Hannah, ni Last Train, ni Sharon Van Etten, ni Kneecap, ni TVOD, pour garantir une place à la barrière pour Fontaines D.C… et surtout QOTSA, qui clôturait la journée et le festival.
14h20 : la journée promet d’être longue, mais commence en douceur sous le soleil, à la Grande Scène avec Léonie Pernet, une jeune autrice-compositrice à la démarche ambitieuse, et dont on nous a dit du bien… mais qui va malheureusement nous offrir un set de 40 minutes en… demi-teinte. Le principe de mélanger de la chanson à texte, plutôt mélancolique, avec des beats et une musique plutôt expérimentale est intéressant (…même si plus très nouveau…). La voix de Léonie, s’excusera-t-elle, est cassée (par le stress ? Par le bonheur de jouer ?) et n’aurait pas sa plénitude habituelle, mais elle nous va bien comme ça, légèrement blessée : son chant rappelle d’ailleurs pas mal celui de Fishback. Avec sa belle coupe afro vintage et son costume rose, alors que ses deux musiciens ont le visage et les cheveux éclaboussés de peinture rose, il y a un look. Le problème du set est plutôt que, du fait du contexte d’un festival comme RES, on a du mal à se concentrer pour écouter, ou même saisir les textes des morceaux, dont on sait qu’ils sont importants, et que, du coup (?), privé de son sens, aucun titre ne se dégage particulièrement du lot. Tout est bien fait, mais manque de souffle, de vie presque… même si l’on imagine très bien que le fait de jouer en début d’après-midi sur la grande scène n’aide pas à faire passer des émotions. A la limite, c’est plutôt la grande variété des formes musicales adoptées qui séduit avant tout : les renforts apportés par un impressionnant vocaliste mâle relance le set, avant un titre politique portant des voix de migrants réclamant justice (« Fraternité, solidarité !… »). Le set dépasse les 40 minutes impartis, en se concluant – et c’est bien – sur l’un de ses titres les plus puissants, Les Chants de Maldoror… Une artiste à revoir dans de meilleures conditions.
15h40 : Fat Dog, ce qui est bien avec eux, c’est qu’à chaque fois qu’on les voit sur scène, c’est un peu mieux. Ce n’était pas gagné avec leur cirque folklo-ska-electro etc. à RES, surtout assorti de leur habituel dilettantisme rigolo. Et le set met – logiquement – un peu plus de temps à accrocher le public que dans une petite salle, où la folie explose quasiment instantanément. Mais Joe Love, la plupart du temps sur la longue avancée de la scène au milieu de la foule, donne de sa personne et fait très bien monter la pression. Et peu à peu, la mayonnaise prend, les sonorités orientalisantes (ou klezmer…) incitent à onduler, alors que les beats nous martèlent la tête, et que les relents punks viennent nous énerver joliment : le public passe de l’appréciation bienveillante de chansons bien foutues et accrocheuses à une quasi-frénésie. Le final sera littéralement dantesque, et nous laissera tous sur les fesses, surpris que Fat Dog ait réussi un si joli tour de passe-passe. Oui, le chien n’est plus seulement « gras », il devient grand aussi !
A noter un beau moment de break dance offert en milieu de set par le violoniste (après avoir posé son violon !), un nouveau membre de l’équipe. Spectaculaire !
17h25 : une grosse partie des jeunes filles qui nous entourent au premier rang sont venues pour eux, alors que nous ne les connaissons pas : c’est Wallows !
Bon, on avec Wallows, on a tout de suite le sentiment d’être revenu il y a une petite vingtaine d’années en arrière, quand a déferlé, dans la foulée des Arctic Monkeys, une nouvelle vague de « brit pop » : on pourra citer des gens comme Razorlight, Kaiser Chiefs ou les Wombats, déclinant tous à leur manière les codes de la pop anglaise des 60s dans un nouveau cadre. Les filles adoraient, les albums étaient plutôt réussis, même si ça ne révolutionnaire rien. C’est tout ça qui revient – de manière improbable puisqu’on parle ici de (ex)teenagers angelenos – avec Wallows, dans une version largement aseptisée, américanisée. C’est de la musique habile et maligne conçue pour la génération Netflix (le chanteur, Dylan Minette, ex-enfant star, a d’ailleurs joué dans une série à succès, 13 Reasons Why !).
Wallows, ce sont donc des mélodies efficaces, faciles à reprendre en chœur en agitant les mains en direction des jolis garçons sur scène : vos filles sont visiblement ravies. Manque juste le fond de cruauté, d’angoisse ou d’humour noir que les Britanniques savaient y injecter pour rendre tout ça… intéressant. Bref, Wallows, c’est de la jolie musique, bien faite (d’ailleurs, avec notre mauvais esprit, nous soupçonnons que l’IA pourrait déjà produire exactement de genre de choses…), les musiciens sont souriants, et vos filles ont de la lumière dans les yeux. Faites-en ce que vous voudrez… mais de grâce, même si vous vous êtes ennuyés pendant une heure, et vous êtres même possiblement sentis accablés et déprimés par Wallows, ne gâchez pas leur plaisir avec vos airs supérieurs et blasés !
19h25 : tout ça c’est bien joli, mais, alors que le soleil descend et que le cagnard se calme, il est temps de revenir à de la musique. Pour une bonne partie du public présent devant la grande scène, une fois que les ados rassasiées ont quitté les lieux, la tête d’affiche de ce dimanche : Fontaines D.C. Toujours plus populaires, toujours plus critiqués par ceux qui les ont aimés à leur début, et sont déçus par leur reconnaissance populaire. Ce qui est le lot de nombreux groupes et artistes, en fait. Au moins, Fontaines D.C. ont toute une panoplie d’excellentes chansons, belles, intenses, dans tout un tas de genres musicaux différents : ça nous assure au moins une moitié de set forte. Et c’est exactement comme ça, comme prévu, que le concert « triomphal », celui de la consécration française, de Fontaines D.C. va se dérouler. Grian maîtrise sa performance scénique, fait même preuve « d’empathie » (il interrompt In The Modern World, parce qu’il repère quelqu’un qui ne se sent pas bien dans la foule), mais reste un piètre communiquant (heureusement qu’il a « Free Palestine » à répéter de temps en temps !), le groupe est régulièrement d’une force impressionnante, et la setlist est discutable, avec un ventre mou, ce qui est quand même un comble pour un concert qui atteint à peine une heure et quart.
La reprise de quelques « pamphlets » de la première époque fait toujours notre bonheur, même si on a le sentiment que Boys In The Better Land est expédié en début de setlist et joué sans la conviction de l’époque, et puis il y a la dernière ligne droite – avec, heureusement, une version intense de I Love You -, qui justifie pleinement le succès désormais conséquent du groupe. Peut-être que s’ils avaient joué moins des titres de Romance (huit sur dix-sept), un album qui nous laisse sceptiques, on aurait pu revivre les grands moments de leur set à la Scène de la Cascade il y a trois ans ? Peut-être qu’on aurait, alors, resigné un nouveau contrat de confiance pour les 5 prochaines années avec ce groupe à la fois passionnant et déconcertant. En l’état, ça reste : « wait and see »…
21h50 : Curieuse idée de la part de Queens Of The Stone Age de placer des amplis sur scène de manière à réduire l’espace dans lequel les musiciens pourront évoluer : c’est inhabituel, un peu désagréable pour le public qui est sur les côtés, mais on se plaît à imaginer que ça permet de construire encore plus de proximité entre des musiciens (Homme, Van Leeuwen, Fertita et Shuman) qui se connaissent et jouent ensemble depuis près de vingt ans, constituant ce qui est considéré comme l’une des plus belles machines de guerre du Rock contemporain.
Josh Homme est quant à lui visiblement marqué par… la maladie, les années, les deux ?… Et ce soir, pire encore, on se rend compte dès No One Knows, joué en seconde position après une intro dévastatrice sur You Think I Ain’t Worth a Dollar… qu’il n’a guère de voix, lui dont on admire normalement le timbre chaleureux et profond ! En revanche, on sent que le groupe a envie d’en découdre, et le son est superbe, clair, tranchant mais puissant (Il semble qu’il n’en sera pas de même dans le fond, et que tout le public de la Grande Scène ne bénéficiera pas comme nous à la barrière d’un tel confort acoustique !).
Après une introduction de trois titres (ajoutons Burn The Witch pour contenter les fans de « metal » plus classique) qui synthétise la part la plus irrésistible de QOTSA, on s’aventure vers les morceaux des derniers albums, moins emblématiques, moins consensuels, qui avaient un peu plombé l’ambiance à Bercy il y a 2 ans. Heureusement, il n’en sera rien ce soir, et tout s’avérera magnifique (avec un petit coup de cœur personnel pour If I Had a Tail…), … avec même la petite touche de souffrance (vocale) additionnelle, ou tout au moins d’effort, chez Homme qui rajoute de l’humanité dans une musique parfois jugée hyper-efficace et froide. En parlant d’efficacité, l’interprétation de Sick, Sick, Sick nous ramènera aux plus belles heures de l’extrémisme sonique de Era Vulgaris, tandis que The Lost Art of Keeping a Secret nous rendra nostalgiques de l’époque de la révélation de Rated R.
Et puis on en arrive à la toute dernière partie du set de 1h30, et quand Homme nous fait son grand numéro de « singalong » sur le Blues de Make it Wit Chu, mâtiné comme d’habitude de Miss You des Stones, on sent à quel point il aime interagir avec la foule, avec une générosité désormais plus intense que débonnaire. Il insistera même pour faire chanter l’un des cameramen sur scène, lequel s’exécutera de bonne grâce, au grand plaisir de Josh. Homme aura d’ailleurs été le seul aujourd’hui sur la Grande Scène à « s’intéresser » vraiment à nous, son public, ainsi qu’au personnel du festival (on remarquera d’ailleurs que, fait exceptionnel, certains membres de la sécurité se laisseront captiver par le spectacle, ce qu’ils n’ont sans doute pas le droit de faire… mais comment le leur reprocher ?). Et cela fait une différence radicale… Et puis c’est Go With the Flow, incontournable, et surtout le toujours démentiel A Song for the Dead, qui prouve que Jon Theodore, que l’on a jamais réellement adoré comme ce fut le cas de Joey Castillo avant lui, a fini par gagner ses galons de batteur de QOTSA…
Et c’est terminé. Mais on se remémorera surtout ces longues minutes où Homme est venu se planter devant nous, piquer une clope à une spectatrice à la barrière, comme s’il s’agissait de retarder encore le moment où il faudra bien en finir, arrêter la musique et se quitter. Drôle de sensation, à la fois belle et inquiétante, que nous avons eue face à un Homme visiblement décidé à savourer chaque moment, à jouer avec ses amis pour un public qui le vénère dans une ville qu’il avoue aimer (et on le croit quand il raconte l’expérience du concert donné dans les Catacombes, et qu’il dédie Make It Wit Chu aux équipes y travaillant).
Magnifique – inespéré – final à une journée « Rock » à la Grande Scène d’un millésime de Rock en Scène qui ne restera pas, elle, dans les mémoires. Croisons les doigts pour que la Direction du festival trouve pour l’année prochaine un meilleur équilibre entre les contraintes budgétaires bien compréhensibles et notre plaisir.
Léonie Pernet :
Fat Dog :
Wallows :
Fontaines D.C. :
QOTSA :
Eric Debarnot
Photos : Laetitia Mavrel (sauf Wallows, Fontaines D.C. et la dernière de QOTSA : Eric Debarnot)