Après Les Enfants endormis, qui retraçait la trajectoire d’un oncle et les années SIDA, l’auteur s’attarde ici sur sa jeunesse marquée par une figure du père ambivalente et l’émergence des premières consoles. Jacky est un roman qui saisit les évolutions d’une époque avec fidélité, à travers l’enfance de l’auteur.

Tout démarre avec la première console d’Atari, la Super Nintendo, l’arrivée sur le marché de Sega, autant de nouveautés qui débarquent dans les salons des familles et qui changent radicalement le quotidien des enfants des années 80, pour celles et ceux qui peuvent se procurer les consoles en question. Les enfants attendent qu’une chose, retrouver un monde numérique nouveau qui leur permettent à la fois de s’évader et qui devient une bulle isolée du monde. Des anecdotes sur l’apparition de tel jeu ou telle console viennent de temps à autre compléter la narration et on retrouve la très belle écriture de l’auteur qui tisse une nouvelle fois la petite histoire de sa famille dans une plus grande, celle de la naissance et de l’avènement des jeux vidéo. Mais aussi celle d’une industrialisation naissante qui voit la boucherie familiale périclitée dans le petit village.
On devine en arrière-plan des personnages croisés dans Les Enfants endormis, notamment l’oncle Désirée qui voit sa trajectoire heurtée par le SIDA. C’est toujours aussi juste dans les petites observations qui permettent de restituer l’enfance de l’auteur, les rapports qu’entretenaient son frère jumeau et lui avec leur père. Un père qui est une figure importante et en même temps mystérieuse sur plusieurs points. Un homme qui rentre tard du travail, qui peut paraître taciturne, inquiétant et qui en même temps peut passer du temps avec ses enfants pour jouer aux premières consoles. Jacky c’est aussi un livre qui permet à l’auteur de déconstruire ce rapport justement, ce ressenti où il fallait être un homme et réagir comme tel. Ce ressenti où il fallait faire attention aux regards des autres dans la bourgade étouffante où tout le monde se connaissait. On se rend compte rapidement qu’Anthony et son frère ont un désir d’évasion qui les titille. Les jeux vidéo arrivent à point nommé pour s’évader et mettre de côté un temps le monde des adultes difficile à déchiffrer, parfois violent.
On recroise des thèmes vus dans Les Enfants endormis en toile de fond et on retrouve avec beaucoup de plaisir cet équilibre entre la documentation, l’écriture au plus près des ressentis de l’enfance et ce besoin de comprendre les réactions des proches de l’auteur. Derrière les thèmes traités par l’auteur c’est aussi une partie de notre enfance que l’auteur restitue et il a une écriture et un ton sans détour qui permet cela. Ce sentiment un peu insouciant qui ne tombe pas pour autant dans le cliché, ils ne sont pas si nombreux les romancières et les romanciers qui y parviennent. On retrouve tout de suite cela dès les premières pages de Jacky, un second roman qui confirme tout le talent d’Anthony Passeron.
Sébastien Paley