Présenté comme l’album « post-punk » après l’album « punk », Antidepressants ressemble surtout à un Autofiction bis : élégant, efficace, mais sans vraie rupture. De quoi réjouir les fans… et frustrer ceux qui espéraient plus de risques.

Le seul défaut majeur d’Antidepressants, qualifié ici et là de meilleur album de Suede depuis Coming Up, c’est de passer après Autofiction. Un album qui n’était certes pas le de toute façon inatteignable Dog Man Star. Mais un album qui inaugura de façon réussie un nouveau cycle artistique pour un Suede reformé. Avec une production d’Ed Buller atteignant le Saint Graal après lequel courent beaucoup de groupes de Rock : un album studio fidèle à leur impact scénique.
Et l’injection de nouvelles influences dans une musique qui, en dehors du partiellement inabouti Head Music, se contentait jusque là de synthétiser Bowie, T-Rex, Mott the Hoople et les Smiths. La musique d’Autofiction évoquait ainsi parfois The Cult et Sisters of Mercy. Le talk over du couplet de Personality Disorder réagissait quant à lui à l’émergence de Shame, Dry Cleaning et The Yard Act. Porté par un thème du sentiment d’aliénation dans le monde contemporain souvent décliné par le Rock, Antidepressants n’a alors qu’un seul défaut majeur : creuser le sillon d’un nouveau cycle artistique là où son prédécesseur en inaugurait un.
Pour cette raison, on est un peu étonné de voir Suede vendre cet album comme l’album Post-Punk après l’album Punk tant il n’y a pas de vraie rupture. Desintegrate reprend ainsi les choses là où Autofiction les avait laissées. Un beat martial très Rock Gothique aboutissant à un refrain lyrique classiquement Suede. Dancing with the Europeans commence sur une basse New Wave et de la guitare mi-ligne claire mi-Billy Duffy, passe par du talk over pour aller vers son refrain pop. Antidepressants débute de son côté sur une basse et une guitare façon Rock années corbeau pour appuyer sur l’accélérateur au refrain. Un trio démarrant l’album au canon.
Sweet Kid ressemble à du Suede à l’ancienne, avec son beat à la New Generation et son mélange d’arpèges de guitare et de moments plus Mick Ralphs/Ronson. The Sounds and the Summer suit, avec son combo guitare/basse à la Sisters of Mercy du couplet. Somewhere between an Atom and a Star pourrait lui être une simple bonne ballade bowienne comme le groupe en a pondu des tonnes mais le morceau est tiré vers le haut par les bouchées doubles lyriques de Brett Anderson au refrain. Ce sont les mêmes vocalises, mêlées au bon vieux thème Rock de la gloire à l’outsider du refrain, qui font fonctionner un Broken Music for Broken People relevant aussi du Suede classique.
Retour au Post-Punk avec un Criminal Ways renouant en partie avec l’esprit d’un Personality Disorder ou d’un That Boy on the Stage. Trance State fait lui partie des meilleurs titres de l’album, avec son couplet à la basse très New Order. Avant June Rain, ballade écoutable mais moyenne. Puis une belle conclusion : Life is Endless, Life is a Moment, avec un combo basse/batterie du couplet donnant envie de revenir en 1980 pour se vêtir en noir de la tête aux pieds. Puis un refrain lyrique débarquant avec le plus grand naturel. L’album s’écoute volontiers d’un trait, parce que le vaisseau amiral de Brett Anderson fait partie des groupes sachant faire des albums cohérents. Mais il comporte moins d’hymnes évidents que son prédécesseur.
Antidepressants est un album très estimable, à l’image de la majorité de la discographie post-reformation du groupe. Mais on peut se demander si les premiers retours critiques le mettant parmi les sommets du groupe ne seraient pas un side effect d’une actualité remettant la Britpop, mouvement auquel le groupe refusait d’être rattaché, sur le devant de la scène (nouvel album et reformation de Pulp, tournée d’Oasis en mode triomphe romain). À ce propos, la seule immense déception liée à l’album est que (pour le moment ?) les dates live 2025-2026 du groupe n’incluent pas d’Europe continentale.
Ordell Robbie