« Sirāt » de Óliver Laxe : Voyage en enfer

En cherchant à transformer en fiction le concept religieux lui donnant son titre, Sirāt se perd un peu narrativement sur la longueur. Mais le film d’Óliver Laxe offre assez de grands instants audiovisuels pour fonctionner malgré tout.

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Avant de décrocher le Prix du jury cannois pour Sirāt, le Franco-galicien Óliver Laxe avait gagné des prix dans d’autres sélections que la compétition officielle. Son documentaire Vous Êtes Tous des Capitaines avait décroché le Prix FIPRESCI (section Quinzaine des réalisateurs). Puis son long de fiction Mimosas, La Voie de l’Atlas avait obtenu le Grand prix de la Semaine de la critique, avant que Viendra le Feu ne reparte avec le Prix du Jury Un Certan Regard.

Mimosas, La Voie de l’Atlas était pénible dans sa partie principale façon Aguirre dans le désert avec lourdeur mystique mais fonctionnait dans ses parties motorisées au flilmage abstrait entre Mad Max sans action et Macadam à Deux Voies. Viendra le Feu fonctionnait nettement mieux dans ses passages fantastiques panthéistes entre Tarkovski et Kiyoshi Kurosawa que dans son portrait d’un pyromane de retour dans un village hostile après incarcération et son tableau du quotidien de la ruralité. Avec les frères Almodovar parmi ses coproducteurs, Sirāt reprend des éléments réussis de ces deux films pour un ensemble plus abouti.

Dans le film, Luis (Sergi López) et son fils Estéban (Bruno Núñez) recherchent au cœur des montagnes du Sud du Maroc la fille aînée qui a disparu. Ils montrent sa photo aux participants d’une rave en plein désert. Un groupe de ravers les prévient qu’une rave va avoir lieu plus loin dans le désert et que leur fille pourrait s’y trouver.

À ce stade, quand bien même le concept est évoqué par une citation au début du film, rappelons ce que signifie l’idée de Sirāt en Islam. Le pont Sirāt représente une des épreuves les plus redoutables menant au Paradis Eternel. Il est installé dans l’obscurité totale au-dessus des flammes de l’Enfer. Quand bien même tous devront le traverser, seuls les musulmans sincères dans leur foi parviendront à franchir la ligne d’arrivée menant au Paradis. La traversée dépendra de la qualité et du nombre des bonnes actions accomplies ci-bas.

Le film se divise en quatre actes. S’ouvrant -d’une manière saisissante- sur le montage du bloc d’enceintes de la rave party illégale, la première partie nous immerge dans cette dernière tandis que Luis et Esteban sondent les raveurs sur la disparue. Une partie introduisant le score technoïde du film, signé de l’artiste français, basé à Berlin, Kangding Ray. Un score certes pas aussi génial dans son genre que celui de Lim Giong pour Millennium Mambo, mais nettement plus écoutable que la bouillie de Junkie XL pour Mad Max : Fury Road.

L’arrivée de l’armée pour mettre un terme à la rave va lancer le deuxième acte, et poser la guerre comme toile de fond qu’on retrouvera via les flashs radios. Luis et Esteban vont suivre en voiture un groupe de teufeurs précédemment rencontré. On se retrouve sur un terrain très chargé en terme référentiel et mythologique. La combinaison de la techno et des plans motorisés dégage une abstraction évoquant les oeuvres de George Miller et Monte Hellman mentionnées plus haut à propos de Mimosas, La Voie de l’Atlas.

Face aux relations au départ pas évidentes entre le père, le fils et la communauté des raveurs, on pense à un bon vieux western où le nouvel arrivant, pris en route dans la diligence, a du mal à se faire accepter des voyageurs déjà présents. Et bien sûr certaines difficultés de traversée évoquent Le Salaire de la Peur. Le récit reporte habilement le drame que tout spectateur connaisseur des inspirations du film voit venir.

Les choses se compliquent avec un troisième acte dans lequel la traversée des Enfers offre de puissants moments de cinéma. La manière dont il est initié est débattable, parce qu’elle ajoute une tragédie supplémentaire à un personnage qui n’en avait pas besoin.

Puis vient le quatrième acte en forme d’épreuve finale, encore amené de façon scénaristiquement artificielle.

Spoiler
Avec cette rave improvisée sous l’emprise de la drogue avec deux enceintes dans le désert. Dans une zone se révélant être un champ de mines au moment où une teufeuse en transe meurt en marchant sur une mine terrestre par accident. Manière un peu trop visible de faire revenir la guerre dans le récit. La suite va évoquer par ses explosions la fin de Zabriskie Point… et surtout la traversée de la Zone dans Stalker.

Sauf que dans un film d’inspiration religieuse il n’est plus question de mysticisme comme chez le Russe. Mais plutôt d’une posture de froideur face à la Mort proche de celle des personnages de Hawks, la seule permettant une traversée sans encombres du champ de mines. Avant une fin dans laquelle les regards tristes des survivants sur le toit du train évoquent l’état émotionnel final des héros de certains films d’aventures de John Huston.

Sirāt est en partie plombé dans ses deux derniers actes par l’envie de Laxe de conformer son récit au concept qui donne au film son titre. Mais cette traversée du désert représente un pas en avant pour Laxe cinéaste, avec suffisamment de moments audiovisuels convaincants sur la durée.

Ordell Robbie

Sirāt
Film franco-espagnol de Óliver Laxe
Avec : Sergi López, Bruno Núñez, Jade Oukid
Genre : Drame
Durée : 1h55mn
Date de sortie en salles : 10 septembre 2025

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