[Live Review] Kerala Dust et Aaron Ahrends au Trianon : les beats plus forts que tout…

Les étonnants Kerala Dust ont presque rempli le Trianon hier soir, et nous ont offert quasiment deux heures d’une musique qui, à la différence de leurs albums, misait avant tous sur l’électro et sur les beats pour toucher leur public.

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Ce n’est pas toujours facile de convaincre les adeptes du Rock « pur et dur » de la pertinence d’un groupe comme Kerala Dust : des gens qui ont eu l’idée de mêler une approche très cinématographique de ce que l’on peut qualifier « d’Americana » aux beats d’une « culture club » plus à même de séduire les jeunes générations. Leurs deux derniers albums, Violet Drive et An Echo of Love sont néanmoins trop passionnants – et séduisants – pour faire l’impasse sur leur passage à Paris, dans un Trianon que l’on juge a priori ambitieux par rapport à la réputation, encore modeste du groupe en France.

2025 09 12 Aaron Ahrends Trianon (2)19h30 : … et de fait, quand Aaron Ahrends, le musicien berlinois monte sur scène derrière son laptop et ses machines, nous ne sommes guère qu’une petite trentaine dans la salle : angoissant… Bon, Aaron Ahrends, par ailleurs leader du group Say Yes Dog, propose une musique électronique ambitieuse, plus atmosphérique que dansante – ce qui n’empêche pas les trentenaires déjà présents de s’imaginer être en boîte et de se trémousser avec des sourires béats sur le visage. Les vocaux sont singuliers, les beats plutôt soignés et pas trop agressifs (on en reparlera plus tard avec Kerala Dust !)… mais on en fait vite le tour, et les quarante minutes de ce régime tiédasse s’apparentent peu à peu au supplice chinois de la goutte d’eau. Bref, en admettant que ce genre de plaisanterie n’est définitivement pas fait pour nous, nous nous sommes, quant à nous, passablement ennuyés.

2025 09 12 Kerala Dust Trianon (29)20h35 : cinq minutes de retard au démarrage pour Kerala Dust, sans doute du fait de la première partie qui a pris ses aises, mais cela a permis au Trianon de bien se remplir (même si le deuxième balcon restera fermé). Le public est composé en grande partie de trentenaires, donc, clairement mélomanes – la musique hybride de Kerala Dust est riche et complexe – mais également là pour danser. On s’aperçoit de suite que les lumières seront difficiles ce soir, braquées en plein dans nos yeux et non sur les quatre musiciens, et très agressives avec des effets stroboscopiques déclenchant facilement des migraines. Mais le son lui-même ne correspond pas à nos attentes : pas d’amplis sur scène, ni de retours, seulement des caissons de basse pour relayer les beats électroniques, tout passe par la sono. Et si la voix d’Edmund Kenny est heureusement bien audible, la guitare de Lawrence Howards – pourtant magnifique et constituant une belle part de la magie du groupe – est sous-mixée : le résultat est indiscutablement une ambiance « club » plutôt que « concert rock », et l’atmosphère magnétique et souvent même hypnotique des compositions du groupe est régulièrement sacrifiée à l’efficacité électro, voire techno. Bref, on attendait de beaux morceaux planants dans un désert américain tamisé de drogues psychédéliques, et on se retrouvera une bonne partie de la soirée en train de danser dans un club berlinois (rappelons que le groupe oscille entre Berlin et Zurich).

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Edmund semble s’amuser comme un fou derrière son pupitre et ses machines, ou encore à la basse : avec son costard et sa coupe en brosse, il peut évoquer par sa distance et son élégance le Bowie des années 80. Une ressemblance dans l’attitude, mais pas les traits du visage, certes, mais de toute façon, il restera dans l’ombre la quasi-totalité de l’heure et cinquante minutes du set, donc on peut bien imaginer ce qu’on veut.

2025 09 12 Kerala Dust Trianon (16)La copieuse setlist fait la part belle au nouvel album, joué dans son intégralité, à l’exception notable du pourtant séduisant Down With Night (Pt. II), le morceau le plus « traditionnellement rock » (et ce n’est sans doute pas un hasard qu’il ait été ignoré. Bien sûr, si des titres comme The Orb, TX ou I Remember You a Dancer sont de parfaites locomotives « deep house » pour faire danser le Trianon – avec des montées en puissance des beats très efficaces pour déclencher des mini-hystéries, ce seront à notre goût des petits bijoux mélodiques et atmosphériques comme How The Light Gets In, Beyond The Pale ou The Bay, moins « assénés », qui constitueront les moments les plus remarquables de la soirée. Eden To Eden, étrange pilier de l’album, passera par contre assez inaperçu, moins contemplatif, moins mystérieux.

On pourra déplorer aussi que l’immense Violet Drive soit très peu représenté sur la setlist (seulement avec Violet Drive et Moonbeam, Midnight, Howl), même si l’on comprend que le plan est qu’il ne fasse pas de l’ombre au nouveau disque : mais quand même, pas de Engel’s machine, quelle déception ! On appréciera toutefois la générosité du rappel, quatre chansons présentant l’avantage de parcourir un large spectre musical, avec en particulier un White Noise qui conjugue assez bien les beats technoïdes avec un chaos quasi-Velvetien.

Nous sortons du Trianon, vaguement hébétés par les lumières agressives et les beats, et, avouons-le, avides de retrouver tranquillement, chez nous, la splendeur si particulière des albums de Kerala Dust, écrasée ce soir sur le dance floor.

Eric Debarnot

Kerala Dust au Trianon
Production : AEG
Date : le 12 septembre 2025

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