« Hazara Blues », de Yann Damezin et Reza Sahibdad : mille et une nuits de cauchemar

Réza, Afghan issu de la minorité hazara et passionné de cinéma, a traversé l’exil en Iran avant d’être accueilli en France. Son témoignage brut, retranscrit et illustré par Yann Damezin comme un conte moderne et poétique, dépeint une vie de combats pour simplement exister.

Hazara Blues – Yann Damezin et Reza Sahibdad
© 2025 Damezin / Sahibdad / Sarbacane

D’origine afghane, Reza Sahibdad vit aujourd’hui en France où il s’est marié. Sous l’oreille attentive et empathique de Yann Damezin, il raconte son histoire, depuis l’Iran de son enfance où sa famille s’était réfugiée pour fuir un Afghanistan rongé par la guerre et les divisions. Mais tout n’était pas tout rose non plus en Iran, où ses compatriotes subissent des discriminations. Désormais, c’est en homme libre qu’il parle de son déracinement et de la douleur de vivre loin de ses proches.

Hazara Blues – Yann Damezin et Reza SahibdadYann Damezin, que l’on avait découvert il y a six ans avec Concerto pour main gauche et qui nous avait littéralement éblouis avec Majnoun et Leïli trois ans plus tard, nous revient ici dans un registre différent. Hazara Blues est né de la rencontre avec Réza, cet Afghan qui, avec sa famille, avait dû fuir son pays, notamment en raison de l’emprise croissante des Talibans et des attaques contre la minorité ethnique hazara à laquelle il appartient. Dans ce témoignage particulièrement dense, l’homme évoque son rêve de devenir cinéaste dans un contexte très peu favorable, pas plus en Afghanistan qu’en Iran, où les réfugiés afghans sont rarement accueillis à bras ouverts… Discriminé dans son propre pays, Réza avait en outre le « tort » d’être afghan dans la république islamique.

Yann Damezin a ainsi mis en images l’histoire de ce jeune homme. Après sa flamboyante adaptation du conte oriental précité, véritable chef d’œuvre graphique, c’est peu dire que cet auteur était attendu au tournant. Tout comme La Boîte à bulles l’avait fait pour Majnoun et Leïli, les éditions Sarbacane ont particulièrement soigné la qualité éditoriale, comme à leur habitude. En grand format, le livre bénéficie d’une superbe couverture agrémentée d’un vernis sélectif vert étincelant, qui suscite immédiatement l’envie de se plonger dans sa lecture. Malheureusement, après quelques dizaines de pages, il sera très difficile de masquer une certaine déception…

Bien sûr, l’initiative de Damezin d’évoquer la vie d’un réfugié reste tout à fait méritoire. Et on doit lui être reconnaissant de mettre en lumière une personne qui a appartenu à cette cohorte anonyme de ceux qu’on appelle pudiquement « migrants », en échange du qualificatif trop connoté d’« immigrés ». Dans la ligne de Fabien Toulmé avec L’Odyssée d’Hakim, de Lucas Vallerie avec Traversées, ou d’Antonio Altarriba et Sergio Garcia Sanchez avec Le Ciel dans la tête, Yann Damezin vient documenter le parcours de ces hommes et femmes tout en leur donnant un visage, en leur rendant leur statut d’être humain digne de respect, à rebours de la xénophobie croissante qui se propage un peu partout à la faveur d’un système en déliquescence, consumé par le capitalisme, et ce à l’échelle internationale.

Là où on pourra avoir quelques réserves à l’endroit d’Hazara Blues, et c’est mon cas, c’est avant tout sur le plan de la narration, qui souffre de longueurs et semble avoir été conçue dans l’improvisation. Et ce qui domine, c’est une impression simultanée de dispersion et de monotonie, avec une partie textuelle un peu redondante, des détails pas toujours très passionnants, même si on sent la volonté de l’auteur d’être respectueux dans sa démarche et de ne négliger aucun détail du parcours de Réza. De même, on ne retrouve pas l’émerveillement que l’on avait ressenti avec le graphisme sublime de Majnoun et Leïli, ici très simplifié et par moments minimaliste à l’extrême. Comme si Damezin se contentait de reproduire à l’infini les gimmicks visuels de son univers, si unique soit-il. Les personnages, trop nombreux peut-être, sont ici représentés de façon assez sommaire, un peu froide et figée, et on a parfois des difficultés à identifier les visages. Quant à la mise en couleurs, l’auteur a opté pour une monochromie où domine le vert, avec des tonalités différentes selon les passages. On est loin du feu d’artifice de son conte oriental…

Objectivement, Hazara Blues n’est bien sûr pas à jeter aux orties, mais force est d’admettre qu’avec cet album, la déception est à la hauteur des attentes. Certes, Yann Damezin avait mis la barre très très haute avec son précédent opus, et celui-ci tient difficilement la comparaison, quand bien même il pourra toucher la frange du public la plus sensible au sort des personnes dans cette situation.

Laurent Proudhon

Hazara Blues
Scénario : Reza Sahibdad
Dessin : Yann Damezin
Editeur : Sarbacane
240 pages – 29,50 €
Parution : 20 août 2025

Hazara Blues — Extrait :

Hazara Blues – Yann Damezin et Reza Sahibdad
© 2025 Damezin / Sahibdad / Sarbacane

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