Eh oui, en 2025, il faut aller jusqu’à Madrid pour pouvoir voir en live Will Sheff et son précieux Okkervil River, visiblement bien décidé maintenant à s’amuser sur scène ! Mais qu’avons-nous fait pour mériter ça ?

La dernière fois que Will Sheff est passé à Paris, c’était il y a plus de deux ans, en mars 2023, et sous son propre nom. Depuis, la tournée qu’il a effectuée en « double affiche » avec The Antlers a semble-t-il ignoré l’Europe, ce qui n’est pas forcément surprenant. Mais, cette fois, Okkervil River parcourt l’Espagne dans ses plus petits recoins, avec 8 concerts prévus, et pas forcément dans les capitales, alors que nous n’avons, au moins pour le moment, aucune prévision d’un passage en France. Qu’avons-nous fait pour mériter ça, nous qui accueillons Will avec toujours autant de chaleur ? S’agit-il de ce phénomène de plus en plus fréquent qui voit de nombreux artistes et groupes de Rock ignorer la France dans leurs tournées européennes, notre pauvre pays semblant définitivement perdu pour la bonne cause, se vautrant dans le rap de bas étage et la variété guère plus brillante ? Restons optimistes, et parions sur le fait que Will adore l’Espagne – d’ailleurs il parle en espagnol sur scène entre les chansons, et a même traduit les paroles de la dernière qu’il joue en rappel. Mais on y reviendra…
La Sala El Sol est l’une de nos salles préférées dans la capitale espagnole, avec une programmation plutôt garage / indie qui nous ravit, une taille modeste (la jauge est de 300 personnes environ), une localisation parfaite à côté de Gran Via, et une atmosphère systématiquement chaleureuse, sans même parler d’un son toujours impeccable. Sans même mentionner que c’est la plus « madrilène » des salles de la ville, puisque les concerts débutent la plupart du temps aux alentours de 22h, ce qui permet de se libérer avant de toutes ses obligations professionnelles ou autres ! Bref, on parle de Okkervil River – l’un de nos groupes préférés de ces 25 dernières années – dans une salle de rock parfaite : que demander de plus ?
On a vu Will et sa (nouvelle) bande débarquer sur le trottoir de la Calle Jardins une petite demi-heure plus tôt, avec de grosses valises à roulettes, ce qui pose évidemment la question du soundcheck et de la préparation du set, mais rien à craindre, tout sera parfait ce soir. On parle de « nouvelle bande » parce qu’il ne nous semble reconnaître personne de l’ancien groupe dans cet « Okkervil River Ver 2025″, les noms des musiciens n’étant pas diffusés – du moins à notre connaissance – sur les réseaux sociaux ou sur le site du groupe.
On se souvient avoir été étonnés, et même un peu déçus la dernière fois, au Point Ephémère par la nouvelle approche, très « rentre dedans » de Will sur scène : beaucoup moins de subtilité, moins d’émotion, et un désir d’offrir des shows très énergiques, très « rock », avec également pas mal de joie en bonus : eh bien, la nouvelle incarnation d’Okkervil River poursuit dans ce même registre. Et, pourvu qu’on ne s’attende plus à ces moments magiques où les larmes nous venaient aux yeux, ça nous ira bien. Ça va d’ailleurs particulièrement bien au public espagnol, toujours plus prompt à faire la fête au cours d’un concert qu’à écouter religieusement (le silence dans la salle, ça n’existe pas de l’autre côté des Pyrénées…) des chansons torturées. Et puis le trio qui accompagne Will – un guitariste soliste très inspiré, responsable ce soir de très belles parties de guitare, un batteur capable de jouer de la clarinette au cours de l’introduction de plusieurs titres, et une bassiste souriante et volontaire – entre parfaitement bien dans ce nouveau schéma : même si, de temps en temps, sur les titres plus calmes, Will a quelque chose de « dylanien », on penche plutôt du côté de Neil Young avec Crazy Horse sur les morceaux les plus enflammés.
La setlist – alors que le concert sera légèrement plus court que d’habitude, seulement 1h15 – fait l’impasse (étonnante, non ?) sur pas mal des habituels sommets d’Okkervil River : pas de Lost Coastlines, pas de John Allyn Smith Sails, ni de Our Life Is Not a Movie or Maybe. Will Sheff serait-il en train de tourner la page sur les chapitres les plus brillants de son histoire ? Bon, c’est quand même le Black Sheep Boy de 2005 qui aura le record de titres le plus joués, avec quatre : For Real, évidemment, qui met tout le monde en joie, So Come Back, I Am Waiting dans une version particulièrement puissante et roborative, A Stone, et puis surtout une drôle de version en fin de rappel de No Key, No Plan, avec des paroles en espagnol, entrecoupées d’un refrain disant « No hablo español, no sé« , qui mettra la salle en joie.
Will Sheff est-il devenu un petit plaisantin, ou, réellement est-il un grand fan de l’Espagne ? On penche donc, on l’a dit, pour la seconde hypothèse. A propos de cette ultime morceau, un incident assez drôle – et significatif – à raconter : alors que le rappel débutait, un spectateur mal élevé a subrepticement dérobé la setlist, ce qui a ensuite bien énervé Will qui l’a accusé d’avoir aussi volé sa feuille avec le texte en espagnol écrit pour No Key, No Plan. Très gêné, ledit spectateur a rendu la setlist et a juré ses grands dieux qu’il n’avait rien pris d’autre. Will s’est alors rappelé que le papier était resté dans la poche de sa veste en coulisse, et il a envoyé la bassiste le chercher ! Ce qui fait que la surprise prévue – une chanson d’Okkervil River en espagnol – a pu finalement nous être offerte après ce moment de confusion.
Bref, une soirée des plus agréables, comme « entre amis » qui jouent et écoutent un Rock « bien senti », oscillant entre racines traditionnelles (l’Americana qui, décidément, est vraiment à la mode en ce moment) et désir d’efficacité : Okkervil River a changé, inutile de le regretter, c’est comme ça.
Espérons quand même un prochain passage par Paris, et pourquoi pas, une version française de l’une de nos chansons préférées, hein, Will ?
Eric Debarnot
Okkervil River à la Sala El Sol (Madrid)
Production : MAZO
Date : le mercredi 17 septembre 2025