The Divine Comedy – Rainy Sunday Afternoon : élégies en chambre et éclats orchestraux

Enregistré à Abbey Road après l’intermède Wonka, ce treizième The Divine Comedy plonge dans l’autobiographie : père emporté par l’Alzheimer, fille qui s’envole du nid, campagne irlandaise. Entre élégie et pop orchestrale, Neil Hannon renoue aussi avec certains plaisirs de jeunesse et crée de nouveaux classiques au passage.

The Divine Comedy Kevin Westenberg

“The last time I saw the old man / He was moving very slowly / And he didn’t seem to know me…” (La dernière fois que j’ai vu le vieil homme / Il bougeait très lentement / Et il semblait ne pas me reconnaître..) Le premier couplet chanté par Neil Hannon sur le second single extrait de ce treizième album, publié dans la torpeur du mois de juillet, nous avait mis la puce à l’oreille : un inhabituel premier degré, autobiographique, pour évoquer dans ce mi tempo saisissant la dernière année de son père touché par la maladie d’Alzheimer, décédé en 2022. Ne cédant pas à la tentation de l’effusion, le crooner, en retenant l’émotion de sa voix prolongée bientôt par une trompette pas trop longuette, comme sachant jusqu’où aller, dans ce registre poignant, et creusant la veine intime, personnelle, qui constitue le meilleur de ce nouvel album de The Divine Comedy.

Rainy Sunday AfternoonTreizième au compteur, et premier depuis 2019, après Office Politics, tentative synth-pop pas vraiment achevée de se réinventer, Rainy Sunday Afternoon a été enregistré à Abbey Road, dans un geste bravache de Neil Hannon. Il y avait enregistré la BO de Wonka, qui lui a apporté une nomination aux Oscars et une reconnaissance hollywoodienne surprise, et lui a permis de travailler avec Timothée Chalamet, qui a chanté les morceaux composés par le petit génie irlandais de la pop orchestrale. Cette nouvelle collection de onze chansons s’inspire fortement du vécu de l’homme de 54 ans qu’est désormais Neil Hannon : quelqu’un qui vit à la campagne avec femme et animaux, se décrit parfois en « fermier » du sud irlandais, qui vient de perdre son père et qui voit sa fille quitter le domicile familial pour vivre sa vie. Dans cette veine explicitement autobiographique, deux chefs d’œuvre, The Last Time I Saw The Old Man, en début d’album, puis le conclusif Invisible Thread, troisième single choisi par sa maison de disques, classique immédiat précédé d’un court instrumental au piano, Can’t Let Go, instaurant le climat élégiaque nécessaire. Sur ce bouleversant au revoir à sa fille Willow, celle-ci est invitée aux chœurs pour appuyer son paternel en pleine crise de besoin de composer pour exorciser cette décomposition familiale, tout en restant tourné vers l’avenir et la vie. Sur une mélodie initiée au clavecin, le crescendo est bouleversant, appuyé par les chœurs, et les violons : « I know you’ve got to go / It’s tearing me apart / You’re sketching to my heart / Now go / Spread your little wings and fly / Smile / You don’t need a reason why / Leave if you’ve got to leave / Just know there will always be / An invisible thread / Between you and me” (« Je sais que tu dois partir / Ça me déchire / Tu dessines dans mon cœur / Maintenant pars / Déploie tes petites ailes et vole / Souris / Tu n’as pas besoin d’une raison / Pars si tu dois partir / Sache juste qu’il y aura toujours / Un fil invisible / Entre toi et moi). Notons au passage que les paroles pourraient s’appliquer aussi à l’adieu à son père…

Enfin, toujours au registre autobiographique, deux chansons en apparence plus légères, mais très agréables car toujours très bien orchestrées : The Man Who Turned Into A Chair, où Hannon se rit de lui-même en reprenant un mot de sa compagne à son propos (lui indiquant qu’il se transformait en chaise à force de passer sa vie assis), où un accordéon, permet à la ballade bizarre de s’évader vers un ailleurs inconnu de The Divine Comedy, où le gentleman farmer rêve de réincarnation en mouche, mais « There’s no return when you’re part of the furniture » (Il n’y a pas de retour possible quant on fait partie du décor). Puis Rainy Sunday Afternoon, la chanson-titre faisant référence à des épisodes dominicaux en famille, mélodie de poche aux « pa-pa-pa » pour l’emballer, comme on aurait pu en trouver peut-être sur ses premiers albums, Promenade ou Liberation, mais nourrie des trente ans d’expérience et de carrière de l’artiste, et de l’homme.

Et pour le reste ? Un vrai « retour aux fondamentaux ». De la pop orchestrée avec des mélodies plus ou moins dynamiques, toujours très sûres. Achilles, premier single, ouvre l’album en fanfare avec néanmoins des paroles évoquant un homme tentant de traverser péniblement à champ boueux (image et paroles troublantes en songeant à l’agonie de son père). Globalement structurée par la guitare et portée par des violons discrets, Achilles s’emballe vers des sommets d’émotion qui peuvent faire penser à Absent Friends et Our Mutual Friend, sur le même album de 2004, sur lequel un premier degré funèbre de l’auteur irlandais avait fonctionné, pour la première fois, sans doute, à plein (ces chansons étant désormais des « classiques » joués lors des tournées). Plus loin, All The Pretty Lights est une autre forme un peu « ancienne école » de The Divine Comedy, très bien chantée, montant dans les aigus pendant que la mélodie, si irlandaise, se retrouve appuyée par l’accordéon puis les chœurs. Cette ballade a priori mineure, comme la chanson Rainy Sunday Afternoon, est en effet très « jolie » : cela pourrait être une définition du génie propre de Hannon.

I Want You et The Heart is A Lonely Hunter sont deux chansons superbement orchestrées, celles bénéficiant des arrangements les plus riches de l’album, et auraient pu figurer par exemple sur A Short Album About Love. Justement, au sujet de la première, à cordes diverses et piano, Hannon explique qu’il voulait se prouver qu’il pouvait encore écrire une chanson d’amour même s’il n’est plus concerné par ces sentiments. La réussite est totale, même si l’entrain quasi juvénile a fait place à une humeur à nouveau discrètement élégiaque qui contamine la chanson. La célébrité du sud de l’Irlande philosophe au passage entre deux nappes de violons : « Some people want to meet their heroes / Pay money just to shake their hands / It must be oh so disappointing when you’re fine / There’s just a woman there’s just a man” (Certaines personnes veulent rencontrer leurs héros / Elles paient pour leur serrer la main / Ça doit être tellement décevant quand tout va bien / Il n’y a qu’une femme, il n’y a qu’un homme). The Heart is A Lonely Hunter, neuvième piste, est quant à elle LE sommet de l’album, qui fera frémir les cœurs et lever le public lors de la tournée à succès à venir. Encore une fois très bien chantée par Hannon, dont la voix épouse différents registres, sur une mélodie minimaliste à la guitare acoustique, soulignée par un piano basique, puis, plus loin, à nouveau un peu d’accordéon :  « The Heart is A Lonely Hunter / And life is just a shadow play / And life is just a shadow play… » (Le cœur est un chasseur solitaire / Et la vie n’est qu’un jeu d’ombres / Et la vie n’est qu’un jeu d’ombres…) Difficile au passage de ne pas penser à son maître Scott Walker, égalé et peut-être dépassé ici.

Ce treizième album serait donc presque parfait, s’il n’y avait un court ventre mou, incarné par deux chansons, qui se suivent (en septième et huitième positions) :  Down The Rabbit Hole, la plus faible de l’album, sorte de ballade mélangeant pop baroque et rock musette, midtempo à l’accélération lyrique et tonitruante – le syndrome de l’album Fin de Siècle (et, spécifiquement, de chansons, comme Eric The Gardener ou Sweden, boursouflées, douze chansons en une), resurgit ici alors qu’on le croyait dépassé depuis plusieurs années. Puis, tout aussi mineure, dans une manière opposée, Mar-a-Lago By The Sea est une chanson d’été, ballade caribéenne chaloupée, où le crooner Hannon s’amuse, sur une mélodie minimaliste de moins de trois minutes, à imaginer Trump en prison (sic) regrettant sa célèbre résidence géante de Palm Beach. Une face B que l’on aurait bien aimé qualifier de « sympa », n’était la réalité américaine actuelle, qui fait ici office de chanson de transition vers les sommets de la fin de l’album, et qu’on lui pardonnera bien volontiers à ce titre.

Rainy Sunday Afternoon constitue donc un album de The Divine Comedy à double facette, où la veine autobiographique a permis la création de nouveaux classiques du répertoire du génie irlandais. Le reste, soit la moitié de l’album, est plus composite, avec pour l’essentiel de belles chansons bien troussées comme il en faisait il y a vingt ans (très agréables, même si sans surprise), et deux chansons plus faibles, ou vraiment mineures. Si cette livraison n’atteint pas les sommets indépassables de Casanova et de A Short Album About Love, il s’agit dans tous les cas de l’une des meilleures cuvées de Neil Hannon, dont resteront notamment cinq ou six chansons exceptionnelles, mises en valeur par la production de très grande qualité comme d’habitude, et par la voix de l’Irlandais, égale à elle-même, et peut-être de plus en plus touchante avec le temps : ce n’est pas donné à tout le monde.

Jérôme Barbarossa

The Divine Comedy – Rainy Sunday Afternoon
Label : Divine Comedy Records / PIAS
Date de sortie : 19 septembre 2025

En concert les 2 et 3 mars 2026 à Paris (Salle Pleyel), le 4 mars à Toulouse (Bikini), le 11 mars à Bordeaux (Le Rocher de Palmer), le 12 mars à Nantes (Stereolux), le 13 mars à Rennes (le MeM)…

Ainsi que le 27 février à Genève (Festival Antigel), le 28 février à Luxembourg City (Philharmonie), le 17 mars à Bruxelles (Cirque Royal)…

Toutes dates disponibles sur : www.thedivinecomedy.com

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