Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : le vitriol de Squeezing Out Sparks, album de Graham Parker aussi célébré par la critique que confidentiel, rappelle que la rage est souvent bonne conseillère en musique…
Si Graham Parker a souvent été associé, en tant que compositeur et parolier, à Joe Jackson et Elvis Costello, il avait débuté avant eux. Il sort son premier album en 1976, un an avant Costello. En 1979, Parker a déjà trois albums studio à son actif quand Joe Jackson sort Look Sharp. Situé sur le même terrain pub rock et textes acerbes, Costello a alors récupéré une partie du public de Parker.
Cette peur d’être déjà un artiste du passé face au Punk et à la New Wave a probablement servi de motivation souterraine à Squeezing Out Sparks, album considéré par la critique anglo-saxonne comme son chef d’œuvre. Parker estimait que ses chansons étaient très éloignées des influences soul de ses albums précédents. Inspiré par 1977 et la New Wave, il se met à penser qu’un changement de style de production serait nécessaire. Connu par Parker du fait d’EPs stoniens et de Harvest, Jack Nitzsche avait récemment produit Spanish Stroll de Mink De Ville, un morceau beaucoup entendu à la radio par Parker.
Le manager de Parker contacte Nitzsche, qui accepte. La recherche d’un son plus brut entraîne la mise à l’écart de la section de cuivres de The Rumour, groupe accompagnant Parker, section présente sur les précédents albums. Elle participera ironiquement à London Calling, album où les Clash voulaient sortir du dogme punk. Choix sonore qui donnera un mélange de rage punk et de vitriol proche dans l’esprit d’un This Year’s model sorti par Costello et ses Attractions un an avant.
La Face A place la barre tellement haut que la suite ne pouvait que paraître légèrement décevante en comparaison. Discovering Japan est proche dans son écriture de la technique du cut-up recyclée dans le Rock par Dylan et Bowie. Une découverte du Japon en forme d’impression chaotiques mêlant les GI’s, Hiroshima et le jet lag. « She knows how hard her heart grows under the nuclear shadows. » (Elle sait à quel point son cœur se durcit à l’ombre du nucléaire) « And as the flight touches down my watch says 8:02 / But that’s midnight to you. » (Et lorsque l’avion atterrit ma montre dit 08:02 mais c’est minuit pour vous)
Local Girls est proche du concept de départ (et abandonné au finish) de l’album, celui du tableau de la vie des banlieues anglaises. Le narrateur aigri se plaint des filles du coin qui auraient un esprit étroit (avec comme preuve pour l’une d’elles qu’elle pense que la place d’un homme est dans l’armée) et choisiraient the wrong guy. Mais il déverse en fait son venin sur des femmes qui ne voudraient jamais de lui : « Don’t want her love I’d ratther knock her down. » (Je ne veux pas de son amour, je préfèrerais l’abattre.) Avant que le morceau ne révèle qu’il passe sa journée à regarder les filles et fantasmer sur elles au comptoir d’un magasin. Pour s’imaginer leur gueuler dessus. Puis c’est Nobody hurts you et son très costellien refrain Nobody hurts you / Harder than yourself (personne ne te blesse plus durement que toi-même).
You Can’t Be Too Strong est la chanson qui a suscité et suscite toujours du débat aux States, dans un contexte américain où la question de l’avortement est moins apaisée qu’en Europe. Parker reconnaît à Nitzsche de lui avoir recommandé d’abandonner son rythme country pour quelque chose de plus lent et de la chanter de manière plus émotionnelle. Quand bien même la chanson est inspirée par un ami du chanteur, elle est encore une fois racontée du point de vue d’un personnage peu attachant. Située en Australie, elle est narrée par un homme parti à l’étranger après avoir mis une femme enceinte. L’avortement de cette dernière est décrit de façon assez gore. Selon Parker, le « You decide what’s wrong » (tu décides ce qui est mal) signifie que seule la femme peut décider, pas l’homme qui ne sait pas. De plus, difficile de savoir le vrai sens du refrain/titre. Qu’on n’est jamais assez dur pour affronter certaines épreuves ? Qu’il faut être dur mais pas au point d’avorter ? Questionné concernant la position de la chanson sur l’avortement, Parker a répondu ne pas écrire une chanson de cette manière.
La Face A s’achève sur un autre sommet. Passion Is No Ordinary Word, dénonciation d’une déshumanisation (selon Parker) des sociétés contemporaines. « Cause this is nothing else if not unreal / When I pretend to touch you, you pretend to feel. » (Car ce n’est rien d’autre qu’irréel, quand je fais semblant de te toucher tu fais semblant de ressentir.)
La Face B débute par une réponse à Elton John et Bernie Taupin. Saturday Night’s Alright for Fighting avait un côté nostalgique des années rock’n’roll synchrone d’un American Graffiti sorti la même année. Ce à quoi Parker réplique que Saturday Nite Is Dead. A l’énergie du morceau précédent succède un Love Gets You Twisted plus lent, au texte aussi amer que son chant. « Love gets you twisted, love gets you twisted all the way / The hearts are enlisted, the hearts are enlisted to break each day. » (L’amour te rend tordu tout le long. Les cœurs sont faits pour se briser chaque jour)
Sommet musical de cette seconde face, Protection, appuie de nouveau sur l’accélérateur tout en incarnant un concentré de haine proche du Dylan du milieu des années 1960. « Your love letters are confetti / I ripped them up my hands were sweaty. » (Tes lettres d’amour sont des confettis, je les ai déchirées et mes mains transpiraient). Morceau le plus pop de l’album, Waiting for the UFO’s a des airs de redite rayon texte. Il pourrait paraître le titre le plus faible de l’album. D’un autre côté, je garde un bon souvenir de son interprétation acoustique par Parker au New Morning.
Le Don’t Get Excited final est aussi un peu moins inspiré musicalement. Mais son texte a un parfum de Si vous ne m’aimez pas je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. « But try to reach a vital part of me / My interest level’s dropping rapidly. » (Mais essaie d’atteindre une partie vitale de moi et mon intérêt dimunera fortement)
L’admiration de Dylan pour le Hey Lord, Don’t Ask Me Questions de Parker est bien connue. Squeezing Out Sparks est lui un album proche dans l‘esprit ce que Dylan avait apporté à la musique populaire de langue anglaise au milieu des années 1960. Il demeure un album de happy few, même chez les passionnés de Rock. Mais des happy few dont font partie Apatow (qui a casté Parker dans son This is 40) et Springsteen (qui a déclaré que Parker était le seul artiste pour lequel il serait prêt à payer sa place).
Ordell Robbie