[Netflix] « La disparue de la cabine 10 » : sous le vernis du luxe, le vide du mystère…

Adapté d’un best-seller de Ruth Ware, le film de Simon Stone troque la paranoïa du roman pour un thriller glacé et lisse, où le luxe supplante la tension.

The Woman in Cabin 10
Copyright Netflix

Depuis que Hitchcock a immobilisé James Stewart derrière sa Fenêtre sur cour, le cinéphile connaît la frustration de celui qui pense être témoin d’un crime et qui ne parvient pas à intervenir. Quant aux thrillers qui jouent sur le trouble d’un héros perturbé qui ne comprend pas ce qu’il voit, qui est contredit par la logique ou par l’opinion générale, et qui bascule dans la paranoïa et doute de la réalité – et de lui-même -, il y a déjà eu bien trop pour qu’on prenne même la peine de les citer. Ruth Ware, écrivaine britannique à succès, qui est une sorte de « wanna be » Agatha Christie, ne s’est pas privée de recycler tout ça dans l’une de ses histoires classiques où une femme « ordinaire » enquête dans un milieu fermé : The Woman in Cabin 10 se déroule sur un yacht, avec une galerie de personnages colorés et tous suspects. Comme on est au XXIème siècle, Ware y a ajouté une dose de dénonciation du « gaslighting », l’un des sports favoris de la gente masculine. Le tout a été un succès commercial, que nous ne jugerons pas « volé », le recyclage de ces thèmes qui semblent un peu usés étant vivifié par une vision post-féministe, le regard et la crédibilité de la parole de la femme étant au cœur du sujet du livre.

The Woman in Cabin 10 afficheSon adaptation par la « bonne maison » Netflix, confiée à Simon Stone (responsable d’un joli The Dig en 2021), et bénéficiant du talent d’une Keira Knightley qui vieillit vraiment bien (on n’aura à supporter ses fameuses minauderies qui en irritent certains que lors de la première scène du film, comme s’il s’agissait d’un clin d’œil au passé avant les choses sérieuses…), était donc une proposition attrayante. Et ce d’autant que, à la manière des adaptations cinématographiques d’Agatha Christie, la distribution des seconds rôles était également alléchante : Guy Pearce, Hannah Waddingham, David Morrissey, Kaya Scodelario, Daniels Ings, de quoi tenir solidement le gouvernail de l’embarcation de luxe dans sa croisière sur les eaux scandinaves.

Malheureusement, le choix de Stone et de ses scénaristes a été de gommer la subjectivité et le délire potentiel de Lo (Keira Knightley, donc), journaliste certes blessée, mais lucide et combative, qui a été témoin de la noyade d’une mystérieuse passagère clandestine. Pas question, dans cette version très « clean » du livre de Ruth Ware, d’hallucinations, de doutes, de la peur de devenir folle ; place à une héroïne de film d’action, prise dans une conspiration menées par les « puissants », soit un thème bien trop à la mode pour qu’il ne soit pas vite irritant, qu’elle devra déjouer. La disparue de la cabine 10 n’est pas un drame de la perception, mais un thriller « d’empowerment », linéaire, rassurant, et certainement conforme à un possible « cahier des charges Netflix ». Il semble que Ware elle-même aurait validé ces choix, disant apparemment qu’elle préférait « éviter la stigmatisation de la maladie mentale ». Très bien, mais le film qui en résulte n’est plus qu’un banal divertissement, utilisant, qui plus est, assez hypocritement le cadre somptueux d’un « super-yacht » offrant des possibilités spectaculaires à la mise en scène et à la photographie. On déteste donc les milliardaires, mais on jouit de la beauté de l’environnement que leur argent leur offre. L’esthétique du film de Stone, hyper soignée, tient plus de la carte postale, et l’angoisse se dissout dans la perfection de l’image au lieu de s’en nourrir. Là où l’enfermement devrait générer la claustrophobie, il n’engendre qu’une impression d’ordre triomphant et de vacuité luxueuse.

On ne s’ennuie pas, heureusement : Keira Knightley fait impeccablement le job, tire La disparue de la cabine 10 vers le haut, pendant que le scénario déroule sa mécanique avec professionnalisme, avec la précision d’une montre suisse. Mais, lorsque survient la confrontation finale, pas loin du ridicule à force d’être peu vraisemblable, le mystère a depuis longtemps été évacué au profit du film d’action lambda.

Finalement, on reste avec le sentiment d’avoir été nous-mêmes des passagers clandestins à bord de cet univers somptueux, sans jamais avoir ressenti la houle d’une traversée difficile : dans ce « cinéma de prestige », le vertige a été laissé à quai.

Eric Debarnot

La disparue de la cabine 10
Film en coproduction US-Royaume Uni de Simon Stone
Avec : Keira Knightley, Guy Pearce, David Ajala
Genre : thriller
Durée : 1h32
Date de mise en ligne (Netflix) : 10 octobre 2025

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