Telle une ode à la nature et à la vie, le graphisme de David Combet célèbre la couleur pour mieux exorciser un passé contrarié dans ses désirs artistiques. L’œuvre ambitieuse d’un jeune auteur qui laisse toutefois un goût d’inachevé…

Comment se construire quand on est un garçon sensible, amoureux des fleurs et des animaux, et que votre père vous emmène à la chasse pour faire de vous un homme, un dur, un vrai, un tatoué ? Comment se construire dans cet environnement paternaliste, où trucider la faune est un jeu, alors que vous préféreriez vous blottir au creux d’une épaule masculine. Ce garçon, c’est Pierre, qui nous raconte comment la ville a contribué à l’épanouissement de son identité et de son art, malgré les quelques blessures de l’enfance…
Quand le bouquin (« petit » pavé de 288 pages…) nous arrive dans les mains, la première réaction est proche de l’émerveillement. Un titre intrigant (qui s’expliquera à la lecture), une couverture réussie, un beau travail éditorial de Glénat, et un graphisme tout en explosion de couleurs, souvent proche de l’art pictural (évoquant David Hockney dont il revendique l’influence dans le récit).
Encore jeune dessinateur de trente ans et quelques, David Combet signe ici sa première œuvre (semi-autobiographique ?) en tant qu’auteur complet. La narration se déploie autour de deux axes narratifs parallèles : le quotidien d’artiste du jeune Pierre, natif des Alpes, écumant les soirées lyonnaises en quête de reconnaissance, et ses souvenirs d’enfance centrés sur les parties de chasse avec son père, qui visiblement ont laissé des traces peu confortables dans sa psyché d’artiste.
C’est ainsi que le lecteur va suivre Pierre enfant (« Caillou ») sous la houlette de papa et son collègue Edouard dans des randonnées alpines (en mode chasse-pêche-nature et tradition), où il se sentait écartelé entre son admiration pour la flore et la faune alpines et sa réticence d’avoir à empoigner un fusil pour viser des proies sous la pression du paternel. On devine que sa sensibilité d’artiste ne s’accordait guère avec les injonctions viriles et culpabilisantes d’un père (« tu seras un vrai bonhomme, mon fils, ou tu ne seras pas ») dont les certitudes vont se fissurer au fil du récit, en raison d’une mauvaise passe conjugale. Et ce passé amer continue à hanter sa vie d’adulte à Lyon (cette cité très plaisante que l’on reconnaît facilement à travers les nombreuses références graphiques) où l’on assiste aux errances du gamin devenu grand, décidé à vivre sa vie d’artiste gay dans l’anonymat de la grande ville, espérant pourquoi pas provoquer le début d’une carrière couronnée de succès… mais le poids d’une enfance brimée dans ses aspirations peut-il vraiment s’alléger dans un milieu où priment l’apparence et l’arrogance, bien symbolisées par le personnage de Simon Chevalier ?
Côté dessin, c’est un feu d’artifice sous le signe de l’arc-en-ciel – ce qui, vu la thématique, est pour le moins approprié… David Combet aime les couleurs, ça se voit et c’est joli quand on aime ça. La référence à David Hockney est explicite, et en effet, l’auteur a opté pour une approche très picturale. La représentation de Lyon et des paysages alpins est très plaisante, même si on sera peut-être un peu moins convaincu par les visages à l’expressivité très appuyée. Mais globalement, le rendu visuel est plaisant, et on sent une certaine gourmandise de la part de Combet à croquer la vie comme le monde environnant.
Quant au récit, il a clairement une fonction exutoire, celle d’évoquer les blessures morales de l’auteur, ce qu’il fait à travers le personnage de Pierre. On ressent également cette volonté d’être exhaustif, de représenter toute l’échelle des émotions chez ses personnages, qu’il s’agisse des visages et des postures. Cette particularité a pour inconvénient d’étirer la narration, ce qui donne lieu à quelques longueurs dont on ne saisit pas toujours la pertinence. On peut également regretter le traitement psychologique un peu superficiel des autres personnages, l’action étant centrée uniquement autour de Pierre.
En résumé, La Mise à mort du tétras lyre se lit comme la quête initiatique d’un homme, qu’il soit le double ou non de l’auteur, pour trouver les clés de sa libération et de son épanouissement. Avec ce récit très personnel et authentique, David Combet peut être satisfait du travail accompli, même si la narration, un rien inaboutie, aurait mérité davantage de rigueur. On ne peut nier qu’il y a chez lui un potentiel à raconter les choses, mais ce livre est peut-être arrivé un peu tôt. L’impression finale est d’avoir dégusté un vin un peu jeune qui n’aurait pas eu le temps de vieillir.
Laurent Proudhon
La Mise à mort du tétras lyre
Scénario & dessin : David Combet
Editeur : Glénat
288 pages – 29 € (version num. : 16,99 €)
Parution : 24 septembre 2025
La Mise à mort du tétras lyre — Extrait :
