Michael J. Sheehy – Six Songs About Love & the Lack Thereof : la tendresse et l’émotion à voix basse…

Toujours entre ombre et lumière, Michael J. Sheehy revient avec six chansons suspendues entre l’amour et son absence. Peu d’instruments, beaucoup d’émotion : un nouvel exercice de dépouillement où la fragilité devient force.

Michael J Sheehy

On n’avait plus eu vraiment de nouvelles – musicales, au moins – de Michael J. Sheehy depuis son Old Bones, New Fire, réalisé en 2022 avec ses complices de Miraculous Mule, et il faut bien reconnaître qu’il nous manquait, son dernier travail solo remontant à 2021. Il s’agissait d’ailleurs de reprises de chansons traditionnelles irlandaises, un poil au-dessous de son merveilleux album de 2020, Distance Is The Soul Of Beauty. On sait que, depuis qu’il a mis fin au vacarme bluesy de Dream City Film Club, Michael creuse une veine plus intime, où chaque mot, chaque souffle, semble mesuré avec soin, mais aussi avec beaucoup d’amour. Et l’amour, c’est encore de cela qu’il s’agit avec son nouvel EP, Six Songs About Love & the Lack Thereof, un EP qui prolonge une démarche exigeante : privilégier une économie de moyens (forcée par les circonstances, peut-être, mais ce n’est pas ce qui importe) pour décupler la puissance émotionnelle de ces fameuses six chansons parlant d’amour (ou de son absence).

Six SongsCe qui frappe d’emblée, dès l’ouverture de Don’t Put Yourself Beyond the Reach of Love, c’est la simplicité apparente de cette musique, prenant la forme d’une parole qui nous est directement, et intimement, destinée. Michael l’explique de manière très pragmatique :  « Je me suis imposé des limites pour l’enregistrement de ces chansons : j’enregistre chez moi et je produis moi-même, ce qui est génial pour ne pas avoir de pression de temps et d’argent, mais qui peut conduire à la procrastination ou à s’égarer. En limitant le nombre de pistes à 12 maximum, j’ai pu terminer les chansons plus rapidement ». Quant à leur forme (faussement) apaisée, l’explication donnée par Michael est elle-même très simple : « Enregistrer à la maison me rend très conscient du risque de déranger mes voisins, et m’oblige à chanter de manière intime, un peu « gênée ». Je trouve que cela convient bien à ces chansons et en renforce l’intimité. »

Sur un piano tout simple, souligné par un peu d’orgue, Sheehy formule une injonction douce-amère, faussement solennelle : il ne faut pas se retrancher du monde, malgré la douleur qui en résulte inévitablement. Car « Il est admis que le véritable amour est douloureux. Qu’il s’agisse d’amour romantique ou d’amour mère-enfant, la douleur et la perte sont inévitables à un moment ou un autre ». Alors, « And it’s okay to be frightened / And it’s okay if you need to cry / It’s okay to lose yourself sometimes / But don’t let love pass you by (Et c’est normal d’avoir peur / Et c’est normal si tu as besoin de pleurer / C’est normal de te perdre parfois / Mais ne laisse pas l’amour te passer sous le nez).

Suit Baby, Baby, Baby, pièce maîtresse du EP, un narrateur, dévasté, constate sans fracas une infidélité ordinaire  : « Baby, baby, baby / I wanna tell you something / You did more than break my heart / You tore my world apart » (Bébé, bébé, bébé / Je veux te dire quelque chose / Tu as fait plus que me briser le cœur / Tu as déchiré mon monde). La mélodie est lumineuse, en dépit de la peine ressentie devant ce désastre ordinaire, la guitare et les percussions jouent en sourdine, mais, touche de génie, c’est à un simple xylophone que revient le rôle d’effectuer le travail émotionnel que le chant, calme et posé en apparence, se refuse de faire. Sur ce titre, il est difficile de ne pas penser au Velvet Underground du troisième album, à cette grâce funambule de fantôme qui hante les chambres obscures de notre existence.

« Who weeps for the angel fallen low? / With broken wings and no place left to go / Robes all torn the halo has lost its glow » (Qui pleure l’ange tombé tout en bas ? / Avec ses ailes brisées et sans aucun endroit où aller / Sa robe toute déchirée, son halo qui a perdu son éclat) : Who Weeps For the Angel, avec le son caractéristique de la guitare électrique, nous ramène un Michael que nous connaissons bien, celui qui place Elvis au sommet de la musique : ce magnifique morceau nocturne ressemble à une prière athée, à une confession à demi-mots, aussi.

La surprise vient alors, avec l’inclusion dans ce recueil de chansons extrêmement personnelles d’un morceau pas très connu (il ne figurait sur aucun des albums les plus fameux du groupe) des Triffids, cet OVNI somptueux du rock australien. Beautiful Waste n’est évidemment pas là par hasard : sa tonalité s’inscrit parfaitement dans l’univers du EP. Mieux, cette reprise agit comme un pont entre deux poètes, McComb et Sheehy, tous deux hantés par la beauté et la destruction.

 

Between the Mirror and the Graveyard est une ballade au piano, pleine d’une belle émotion, le morceau le plus immédiatement touchant de l’EP. Michael se livre ici à une peinture simple, modeste et honnête, de là où il en est à ce moment de son existence : « Between the mirror and the graveyard / The tender morning and the merciful night / The empty bottle and overflowing ashtray / … / The frequent losses and the rare delight / That’s where you’ll find me / Just doing my thing » (Entre le miroir et le cimetière / Le matin tendre et la nuit miséricordieuse / La bouteille vide et le cendrier débordant / … / Les pertes fréquentes et le plaisir rare / C’est là que tu me trouveras / En train de faire juste mon truc).

« And the world will keep on burning / As surely as we are born to die / Some are cursed while some get lucky / And it’s not for us to question why » (Et le monde continuera de brûler / Aussi sûrement que nous sommes nés pour mourir / Certains sont maudits, d’autres ont de la chance / Et ce n’est pas à nous de nous demander pourquoi) : le dernier morceau, And the World Will Keep on Burning, reprend le motif du « monde en feu présent » chez Sheehy depuis quelques années. Lui-même s’en explique, tout ne se sentant pas légitime pour le transformer en thème politique dans ses chansons : « Je pense qu’il y a des artistes qui traitent ces sujets politiques bien mieux que moi. Je suis du côté des opprimés, je l’ai toujours été et je le serai toujours. J’espère seulement que cela transparaît dans mes chansons« . Plutôt qu’une déclaration politique, il s’agit de placer le bonheur et les drames de l’amour dans un contexte actuel, plutôt difficile. De mettre notre besoin d’amour en perspective. Et donc de refermer le disque sur une note de fatalisme, qui ne débouche heureusement pas sur le défaitisme ou sur un sentiment d’impuissance : car si le monde continue de brûler (et nous n’y pouvons rien…), l’amour aussi.

Sheehy a trouvé son ton : c’est celui d’un conteur un peu désabusé, dont la voix légèrement voilée se pose comme une fumée de cigarette sur une guitare en sourdine, un piano solitaire : rien de débordant, rien d’extravagant, et c’est bien précisément cette sobriété qui fait tout. Il ne s’agit pas ici de nous séduire, et encore moins de dramatiser la perte, la douleur, le désespoir. Juste de les décrire, de constater les ruines de nos vies, sans pathos, et surtout sans cynisme. Pour pouvoir continuer a chercher la lumière…

… Et chercher l’amour, car « Love can be frightening and sometimes it will cause us pain rather than comfort, but it is worth it for the moments of pure beauty and joy » (L’amour peut être effrayant et parfois il nous causera de la douleur plutôt que du réconfort, mais cela en vaut la peine pour les moments de pure beauté et de joie). Six Songs About Love & the Lack Thereof est un disque court, fragile, mais vital : six chansons pour nous rappeler qu’aimer reste ce qu’il y a de plus indispensable. Et de plus urgent.

Eric Debarnot

Michael J. Sheehy – Six Songs About Love & the Lack Thereof (EP)
Label : Dimple Discs
Date de parution : 2 octobre 2025

Les propos de Michael J. Sheehy (traduits en français et en italiques dans le texte) ont été recueillis le 19 octobre.

Le EP est disponible en exclusivité sur Bandcamp

 

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