Bruce Springsteen – Nebraska ’82 : Expanded Edition : la première prise était la bonne.

Après le coffret Tracks II et ses albums jamais publiés, Bruce Springsteen continue de faire l’actualité au rayon « publication de chutes de studio » avec Nebraska ’82 : Expanded Edition. Une réédition augmentée de son chef d’œuvre acoustique dépassant un tout petit peu moins le statut de simple document historique que le coffret mentionné.

Springsteen 2025
Jeremy Allen White et Bruce Springsteen, BFI LFF Royal Festival Hall , 15 octobre 2025, source: Wikimedia Commons

Alors qu’est sorti un biopic sur les sessions d’enregistrement de Nebraska, le Boss publie Nebraska ’82 : Expanded Edition, réédition de l’album avec un Bonus très attendu : la tentative de réenregistrement des morceaux avec le E Street Band qui aboutira à leur publication en version démo acoustique enregistrée à domicile.

Le premier disque de bonus est celui des Nebraska Outtakes. Des chutes de studio dont une bonne partie avait fini par atterrir sur des pirates, tandis que deux titres avaient vu la lumière du jour : la (superbe) version acoustique originelle de Born in the U.S.A. sur le premier coffret Tracks, The Big Payback en Face B du single Open All Night.

Il est facile d’abonder dans le sens des fans du Boss pour qui le très beau Losin’ Kind aurait été écarté de Nebraska pour cause de trop grandes similitudes du texte avec d’autres titres de l’album. Le morceau débute façon Highway Patrolman, avec un My name is et un narrateur au prénom identique à celui du frère en délicatesse avec la loi du morceau repris par Johnny Cash. Et le .45 d’un « highway patrolman » pointe le bout de son nez dans un final proche du début de Johnny 99. La chanson vaut aussi pour ses parties de guitare mariachi annonçant Inyo.

S’agissant de Downbound Train, la version acoustique aux accords Rock’n’roll basiques fonctionne moins que l’électrique finalement publiée sur un Born in the U.S.A.. Si sa partie musicale n’a rien à voir avec celle du morceau de Born in the U.S.A. racontant comment une liaison avec une mineure amène son narrateur derrière les barreaux, Child Bride est côté texte une version très avancée de Working on the Highway. Plus loin, Working on the Highway trouve lui sa forme musicalement la plus proche de sa version publiée.

Pour Pink Cadillac, on préfère personnellement sa version acoustique à l’arrangement gros son de la version en Face B de Dancing in the Dark. The Big Payback aurait sans doute de son côté bien fonctionné en version enlevée sur scène avec le E Street Band.

Enregistré en studio, On the Prowl vaut pour les touches d’humour de son texte sur le thème plus vieux que le Rock de l’homme seul « chasseur » de femmes. « They got a name for Dracula and one for Frankenstein / They ain’t got no name now, mistеr, for this sickness of the mind » (Ils ont un nom pour Dracula et un pour Frankenstein, ils n’ont pas de nom maintenant, Monsieur, pour cette maladie de l’esprit). Et on sourit du hurlement James Brown de fin de morceau. Plus calme et lui aussi enregistré en studio, Gun In Every Home raconte l’idéal de l’ère Reagan : une famille, une vie en maison individuelle dans une banlieue pavillonnaire, un flingue et deux voitures au garage.

Contenant les morceaux dans leurs versions avec le E Street Band, le disque Electric Nebraska explique dès son premier titre pourquoi le Boss a préféré publier celles enregistrées à domicile. Il manque ainsi à Nebraska la distance glaciale de la voix du Boss dans sa version publiée. Plus loin, l’écoute de Mansion on the Hill fait dire que le piano et l’orgue n’étaient pas faits pour le morceau.

Atlantic City ressemble lui à un brouillon des versions live électriques ultérieures du morceau. Aussi promis à de belles versions live électriques, Johnny 99 a des airs de « Et si le morceau était joué comme les Rocks de The River ? ». Reason to Believe ressemble à une esquisse des versions live des années 2010, sans être comme ces dernières influencées par Spirit in the Sky. Downbound Train est ici joué à partir de sa version des Outtakes, musicalement encore loin de sa version publiée sur le mégahit du Boss. Open All Night fonctionne dans sa reprise façon « morceaux rythmés de The River » mais la voix du Boss manque d’énergie.

L’implication est en revanche bien là sur Born in the U.S.A.. Une version loin de celle Johnny Cash des Outtakes bien qu’elle en reprenne la base mélodique, une version aussi loin de l’officielle en mode char d’assaut. Une version qui habillerait parfaitement un film indépendant fauché sur un faits divers ayant lieu dans le pays profond.

Dans les bonus de la réédition, on trouve enfin une interprétation de l’album sans public au Count Basie Theatre de Red Bank (dans le New Jersey), avec l’accompagnement minimal de Larry Campbell et Charlie Giordano. Une interprétation présente en version disque… et en version filmée en Blu-Ray. D’excellentes versions live même si ce bonus n’était pas de première nécessité.

Nebraska ’82 : Expanded Edition dépasse-t-il le statut d’album réservé aux fans et leur prouvant la lucidité des choix artistiques du Boss et de Jon Landau à cette époque ? Oui et non. D’un côté la partie la plus intéressante est paradoxalement celle qui comporte le moins de vrais inédits. Mis côte à côte, les Outtakes forment un matériau d’excellente tenue tout en éclairant sur le travail d’écriture du Boss. Peu de chances en revanche de réécouter d’un trait l’Electric Nebraska. Dont la présence a un mérite : casser le mythe pour le remplacer par une réalité plus prosaïque.

Ordell Robbie

Bruce Springsteen – Nebraska ’82 : Expanded Edition
Label : Columbia
Date de parution : 24 octobre 2025

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