Quatre ans d’existence en tant que groupe entre 1977 et 1981, seulement deux albums, mais un statut culte depuis leur split. Le retour scénique de Marquis de Sade en 2017, près de quarante ans après leur rupture, a été un évènement, mais l’aventure s’est achevée avec le décès des deux membres les plus emblématiques. Un copieux livre nous narre cette odyssée qui a marqué le rock français.

J’ai mis beaucoup de temps à comprendre la place prise par Marquis de Sade au sein de l’histoire du rock en France. Trop jeune pour vivre en live les sorties de Dantzig Twist et Rue de Siam, l’envie de rattraper le retard est principalement venue via les interviews d’Etienne Daho qui les citait souvent, ou quelques papiers sporadiques dans Rock & Folk. Malgré sa production sèche, Dantzig Twist n’a pas mis longtemps pour se faire une place dans mes playlists, portés par les fabuleux Walls, Conrad Veidt, et Who Said Why ? Les membres du groupe, et surtout Philippe Pascal, étaient passionnés par Television, et le chant de Tom Verlaine est une influence évidente du phrasé du chanteur.
Mais c’est le concert de reformation au Liberté à Rennes en septembre 2017, et les échos de ce concert, qui ont remis le groupe sur le devant de la scène, donnant l’envie de se précipiter à Petit Bain le 22 février 2019 pour voir le mythe jouer. Cette date restera parmi les plus marquants auxquels j’ai pu assister, de la rencontre impromptue devant la salle avant le concert avec un Philippe Pascal toujours aussi magnétique, a un set terrassant d’une formation en pleine possession de son art : un moment hors du temps et la promesse d’une fin de carrière sous les projecteurs.
Nous connaissons la suite : le décès de Philippe Pascal à peine quelques mois plus tard, au moment de l’écriture de ce qui aurait dû être leur troisième album, le retour de Marquis pour deux beaux disques sous le seul leadership de Franck Darcel, et le décès de ce dernier imposant a priori la fin définitive de l’aventure. La reconnaissance les attendait enfin, c’était écrit.
Philippe Gonin revient sur cette histoire dans un livre passionnant, qui vient de sortir chez les toujours impeccables Le Mot et le Reste. Ayant réalisé au cours des années de nombreux entretiens passionnants avec Pascal et Darcel, Gonin décide de les utiliser, après la mort de ce dernier, comme base de ce livre. Avec une trame chronologique, leur histoire est racontée par le biais de nombreuses interviews des autres membres du groupe, mais également des acteurs de la scène rennaise qui ont travaillé avec eux, et été leurs amis (Daho, Obispo, Dominique A..). Le livre s’avale d’une traite, et nous pouvons suivre le parcours de ce groupe unique du rock hexagonal, qui laissera une trace inversement proportionnelle à sa durée de vie.
L’histoire commence avec l’incorporation d’un chanteur charismatique venant de Dol de Bretagne, Philippe Pascal, dans le noyau dur de la première version de Marquis de Sade composée de Christian Dargelos et Franck Darcel. A partir de là, il faut dire que l’on se perd un peu dans les incessants changements de personnel dans le groupe. Ça n’avait pas l’air facile tous les jours de contenter Franck Darcel ! Philippe Pascal apparait dès le départ dans toute sa splendeur : un animal rock sidérant, mal dans sa peau mais passionnant. Philippe Gonin ne peut pas cacher la profonde admiration qu’il a pour Philippe Pascal, qui est indéniablement la figure emblématique du livre. On y découvre un homme certes difficile à gérer par ses bandmates, mais surtout fin, intelligent, et très lucide. La conception des deux disques du groupe, leur processus de composition, et les choix de production, la technique de guitariste de Franck Darcel ou l’influence de Sergei Papail, le rôle primordial des saxophonistes Daniel Paboeuf et Philippe de Lacroix Herpin, rien n’est passé sous silence. Chacune des compositions est passée au crible, et les paroles explicitées. Elles révèlent les idées noires de Philippe Pascal, l’idée de la mort y étant souvent présente et malheureusement prémonitoire.
On en apprend beaucoup sur les relations humaines parfois tendues entre les membres du groupe soudés avec Franck Darcel et Philippe Pascal qui s’isole beaucoup, notamment pour écrire.
Philippe Gonin est naturellement amené à consacrer de longues pages aux projets qui ont suivi Marquis de Sade, le Octobre de Franck Darcel, mais surtout Marc Seberg, le groupe qui aurait pu faire rencontrer le succès à un Philippe Pascal qui semblait alors avoir trouvé une certaine sérénité à travailler avec une bande d’amis (dont le fidèle Anzia et Pascale Le Berre) dans une ambiance plus chaleureuse que celle de Marquis de Sade. A la sortie de ces 250 pages, nous ne pouvons qu’être obsédés et émus par le personnage.
Mais l’émotion est à son comble quand arrive l’heure des retrouvailles de 2017 : l’énergie déployée pour y arriver, cette poignée de concerts étonnamment réussis d’un groupe dont certains des membres avaient quitté le monde de la musique depuis longtemps, la préparation du troisième album, et la pression ressentie par Philippe Pascal avec un process d’écriture toujours douloureux… jusqu’à l’issue que l’on connait. Le témoignage du bassiste Thierry Alexandre est poignant, lorsqu’il explique que la musique était bien avancée, qu’elle servirait plus tard pour le premier album de Marquis, mais qu’ils l’avaient écrite pour Philippe.
L’aventure de Marquis durera donc le temps de deux albums, avant le décès de Darcel et les nombreux hommages qui suivront.
A noter en parallèle la sortie d’un disque hommage à Philippe Pascal sous la houlette de Pascale Le Berre, et intitulé De Quelle Couleur Est la Passion ? 10 titres repris entre autres par Etienne Daho, Theo Hakola, Axelle Renoir ou Marc Seberg accompagné par Alan Stivell. La reprise de l’Eclaircie par Dominique A, le presque tube de Marc Seberg, est superbe. Un complément indispensable pour accompagner la lecture de ce livre passionnant que nous conseillons forcément, avant la possible sortie d’un coffret réunissant l’intégrale du groupe, sur lequel Franck Darcel travaillait avant son décès.
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Laurent Fegly
