Rien ne pourra t’atteindre renouvelle intelligemment les codes du roman noir en s’intéressant aux répercussions d’un meurtre sur des hommes et des femmes personnellement liés à l’affaire. Avec ce premier roman brillant, Nicola Maye Goldberg s’impose d’emblée comme une romancière qu’il va falloir suivre de très près.

Sara Morgan était une adolescente comme les autres. Étudiante en art, elle semblait promise à un bel avenir… Mais un jour d’hiver 1997, son corps est retrouvé dans un bois, non loin de l’université de Crawford où elle étudiait. Blake Campbell, son petit ami, est arrêté et il passe rapidement aux aveux. Diagnostiqué schizophrène depuis des années, Blake plaide la folie et est acquitté… Tragique affaire donc, au dénouement judiciaire étonnant, mais sur laquelle Nicola Maye Goldberg va porter un regard singulier.

Divisé en douze chapitres, Rien ne pourra t’atteindre choisit de délaisser le mystère policier au profit d’un récit sur les répercussions très intimes de ce fait divers. Chaque chapitre s’intéresse à un protagoniste différent : douze prénoms se succèdent pour raconter leurs liens avec Sara. Tout commence avec Marianne, femme au foyer dépressive : c’est elle qui découvrira le cadavre égorgé de la jeune étudiante… Nombreux seront celles et ceux qui seront hantés par cette terrible découverte. Il y aura notamment Juliet, une jeune journaliste ébranlée par le sentiment que ce crime est resté impuni. Alors qu’elle couvre le procès de John Logan, un tueur de femmes qui a sévi dans la même région, elle cherche à faire parler du meurtre de Sara, trop rapidement tombé dans l’oubli médiatique. Gemma, elle, est la sœur de Blake. Installée en Californie, loin de son frère et de ses parents, elle tente de faire comme si rien ne s’était passé. Mais sa peur ressurgit lorsqu’elle est convoquée par la maîtresse de sa fille Karla qui s’interroge sur le comportement étrange de la fillette… Puis nous découvrirons aussi Luna, la demi-sœur de Sara. Elle n’avait que deux ans lorsque Sara a été assassinée. Et pourtant toute sa vie semble régie par ce crime…
Ce ne sont que quelques exemples des « microfictions » imaginées par Nicola Maye Goldberg pour raconter la triste histoire de Sara. A travers elle, la romancière nous interroge sur notre fascination morbide pour les faits divers et les true crimes. Elle explore surtout tout un système de domination masculine dans lequel le meurtre d’une jeune étudiante n’intéresse finalement que celles et ceux qui l’ont connue, un système dans lequel les victimes sont comme occultées, tandis que les bourreaux sont trop souvent épargnés, voire protégés.
Nicola Maye Goldberg met ainsi en évidence la tragique banalité d’un fait divers qui n’en est qu’un parmi tant d’autres. En effaçant totalement Sara de son roman (ou presque totalement), elle montre la rapidité avec laquelle les victimes des féminicides tombent dans l’oubli. Encore une fois, seuls les proches des acteurs du drame (la victime, le coupable) restent prisonniers d’un traumatisme indélébile. Soutenu par une écriture limpide, le roman tisse des ambiances qui se parent par endroits d’un voile d’étrangeté qui, comme le souligne la quatrième de couverture, peut évoquer Twin Peaks (impossible en effet de ne pas penser à Laura Palmer à l’issue du premier chapitre lorsque Marianne découvre le corps de Sara au bord d’une rivière).
D’une justesse psychologique impressionnante, Rien ne pourra t’atteindre est aussi un roman d’une grande mélancolie, pour ne pas dire d’une profonde tristesse. Mais c’est aussi l’un des plus beaux romans qu’il nous aura été donné de lire cette année. Et l’on ne peut, une nouvelle fois, que saluer le travail du Gospel, éditeur défricheur qui n’en finit pas de nous séduire avec des livres profondément originaux.
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Grégory Seyer
