L’Amérique rurale et profonde, celle de Steinbeck ou de Faulkner, où il ne fait pas bon vivre mais où, dans les années 50, le rock’n roll apporte quelques lueurs d’espoir. Entre drame familial et guitare salvatrice, Rodolphe et Dubois signent un récit vibrant et sensuel.

Au scénario, le prolixe Rodolphe que l’on vient de croiser récemment sur Pump et qui lorgne souvent du côté de l’ouest et qui est fan de rock’n roll (il a même écrit un livre sur les artistes des années 50). On n’apprécie pas toujours ses histoires mais ici, il a parfaitement réussi son coup.
Aux pinceaux (c’est le cas de le dire, les planches sont réalisées en couleurs directes), on découvre le Jurassien Christophe Dubois. Avec l’un des personnages de cet album, les deux compères partagent une même passion : la guitare.
Dans les années 50, un petit village au pied des Appalaches : Barbie (un joli brin de fille) débarque à Hazard après avoir marié Bram, un gars du coin.
« Hazard, c’est le trou du cul du monde ! Enfin, du monde civilisé … C’est nulle part, c’est chaud, c’est moche, il s’y passe jamais rien ! Dis, je peux te poser une question ? Pourquoi t’es venue te paumer chez nous ?
– Parce que d’où je viens, c’est encore pire. »
Il y a donc à la ferme des Wayne :
— Le mari « Bram, le bras protecteur et le sourire niais, couvant sa nouvelle acquisition façon heureux propriétaire ».
— Hank, celui qui est venu chercher Barbie à la gare, qui gratte un peu sa guitare pour jouer « un peu de tout : Jimmie Rodgers, Hank Williams … du rock’n roll aussi ». Bref, tout ce qui plait bien à Barbie.
— Le père « balançant à la môme un maximum d’histoires salaces soulignées de regards lubriques ».
— L’autre frère Eddie « faisant son numéro de beau ténébreux : oeil de velours et sourire entendu ».
— Et le plus jeune Zach, toujours prêt à « plonger sous la table et zyeuter sous les jupes de la belle ».
— Avec la jeune Evy, mutique et sujette à des crises hystériques, vous avez là toute la famille Wayne (la mère est partie, dit-on) : selon le toubib local, « dans le coin, ils sont tous assez bizarres, mais ceux-là ont le pompon ! ».
Si on ajoute que la famille Wayne est régulièrement visitée par les gens du shérif et même les agents du FBI pour ses divers petits trafics, on pourrait penser que tous les ingrédients d’un roman bien noir sont alors réunis. Et on aurait bien raison… Mais « on était ni au bout de nos surprises, ni de nos peines ! ». Dans ce village perdu de fermiers, « quand t’en peux plus, tu prends un flingue ou une guitare ». Rodolphe et Dubois ont choisi pour nous : ce sera la guitare.
Barbie est trop jolie et Hank le beau-frère trop sympa… Oui, l’histoire est plutôt simple mais cette simplicité apparente en fait ici toute sa force et sa réussite. Barbie et Hank deviennent vite attachants et les personnages de la famille Wayne sont suffisamment complexes pour ne pas tomber dans la caricature. Et puis ce refrain, cette belle idée comme quoi la guitare, le rock’n roll, viendra peut-être vous sortir d’une bien vilaine ornière.
Oui, la musique adoucit les mœurs et il fallait bien cette bouffée d’air frais, pour le lecteur comme pour les personnages, dans cette campagne qui suffoque sous la détresse, la chaleur et la misère. Les Appalaches sont une région qui a inspiré le nature writing de nombreux auteurs (Chris Offut, Ron Rash, … ) : un style qu’il n’est pas fréquent de « voir » en images.
L’illustration de Dubois est superbe, avec de beaux contrastes de lumière, des cadrages serrés sur les visages et des vues larges sur le paysage rural. Et puis bien sûr, il y a la sensualité de Barbie qui illumine de nombreuses cases car elle est de presque toutes les planches : un beau portrait de dame.
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Bruno Ménétrier
Rockabilly
Scénario de Rodolphe
Dessin de Christophe Dubois
Editeur : Daniel Maghen
112 pages – 19,50 €
Date de parution : 10 septembre 2025
Rockabilly — Extrait :

