Rodolphe Burger revisite le Radio-Activity de Kraftwerk avec la ferveur du fan et la maîtrise du musicien. Entre fidélité sonore minutieuse et éclats de guitares, il transforme ce monument électronique en un pèlerinage intime où passé et présent se réactivent.

Nous étions faits pour nous entendre, mais les chemins de la vie en ont voulu autrement. Je n’ai jamais vraiment écouté Rodolphe Burger et pourtant j’aime les voix profondes et les guitares distordues. Je n’ai jamais vraiment écouté Kraftwerk non plus, et pourtant j’ai un paquet de disques électroniques et tout un tas d’autres aussi froids que minutieux. J’ai bien failli voir Kraftwerk en concert, c’était à Rock en Seine, je n’ai en fait vu que trois morceaux avant de partir pour me positionner sur la grande scène où Nick Cave, un autre chanteur à la voix profonde, allait jouer.
Mais après tant de rendez-vous manqués, les planètes allaient enfin s’aligner l’une après l’autre. En 2021, à la sortie du confinement alors que le monde se remettait en marche après que chacun ait pu goûter des mois d’introspection forcée, le festival Discotake de Bordeaux donnait carte blanche à Rodolphe Burger pour reprendre un album de son choix. Il jette son dévolu sur Radioactivity, le premier disque complètement électronique de Kraftwerk. En 2025, il le rejoue pour les 25 ans du festival qu’il a fondé à Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace, et les 50 ans du disque. Le concert est visible sur la plateforme ArteTV, et l’album est enregistré en studio.
J’imagine le jeune Rodolphe, tout juste majeur, écoutant cet album OVNI dans sa chambre alors que naissait en lui une passion pour le rock, les textures sonores, et une attitude artistique radicale. 50 ans plus tard, il est devenu un musicien accompli. Perfectionniste, s’il s’attaque à un tel monument, il s’y jette complètement. Son acolyte, le multi instrumentiste Julien Perraudeau, entreprend un travail d’archéologue afin d’identifier la provenance de chaque son pour les reproduire le plus fidèlement possible. Alors que les éléments électroniques sont d’une ressemblance troublante avec les originaux, les éléments distinctifs du chanteur alsacien en sont d’autant plus relevés : sa voix plus rugueuse que celle des hommes-machines, et sa guitare plus texturée que leurs machines-machines.
Ce disque est une passerelle entre les deux époques, non que Kraftwerk ait besoin d’être remis au goût du jour, ou que Rodolphe Burger puisse être considéré comme le représentant du goût contemporain. C’est un pèlerinage, une expérience mystique dans laquelle le vieux fan emmène généreusement son public. Rodolphe Burger a défini les zones de libertés qu’il s’octroie avec les morceaux originaux, des points de départ et d’inspiration pour s’approprier leur musique. A l’inverse des métaux radioactifs qui perdent la moitié de leur radioactivité à chaque cycle, la musique de Kraftwerk semble s’enrichir à chaque époque.
Dès le début de l’album, les arpèges de guitares distordus qui se font entendre sur Radioland se marient parfaitement avec les sons vintages. Même un morceau resté purement électronique comme Sendepause sonne presque davantage comme Kraftwerk l’aurait voulu il y a 50 ans, avec plus de textures et d’espace. Rodolphe Burger met également à jour le flash d’information, y introduisant la catastrophe de Tchernobyl, qui a eu lieu 11 ans après la sortie de l’album. Le titre éponyme dure d’ailleurs 11 minutes dans sa – sublime – version revisitée.
Ce morceau, il le jouait déjà régulièrement avec son groupe Kat Onoma pour terminer les rappels dans des versions à rallonge, cataclysmiques et blasphématoires, avec uniquement des guitares et des instruments rock alors que ses compositeurs l’avaient voulu électronique. Dans sa version de l’album, il le place également en clôture, juste après Ohm Sweet Ohm, qui, avec la maturité, gagne en puissance ce qu’il a perdu en naïveté, préparant ainsi au bouquet final radioactif où résonnent encore les échos de concerts magistraux.
Replay Kraftwerk (Radio-Activity) est un hommage vivant et vibrant à un disque qui a changé l’histoire du rock en brouillant les frontières entre électrique et électronique, et, de façon tout aussi importante, entre pop et musique expérimentale. Alors que Kraftwerk joue les humanoïdes, Rodolphe Burger joue avec son cœur d’adolescent passionné pour dépasser l’exercice de style, et insuffler une nouvelle vie à ce disque introspectif et jubilatoire.
Pour rester dans l’ambiance, profitez-en pour revoir la série Tchernobyl…
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Jean-Christophe Gé
Rodolphe Burger – Replay Kraftwerk (Radio-Activity)
Label : Dernière Bande
Date de sortie : 4 novembre 2025
