The Replacements – Let It Be (Deluxe Edition) – Lonely 1980s Teenage Boy

La récente réédition de Let It Be, album souvent considéré comme le sommet de The Replacements, rappelle l’art de Paul Westerberg pour écrire des chroniques de l’âge ingrat du temps de Ronald Reagan. Il témoigne surtout d’un groupe avec un pied dans ses débuts Punk et un autre du côté d’une nouvelle route Power Pop.

The Replacements
Domaine public – Wikimedia Commons

Après avoir réédité dans une superbe version remixée Tim, Rhino récidive avec le chef d’oeuvre consacré de The Replacements : l’album qui partage son titre avec un album d’un groupe de Liverpool. Let it be correspond parfaitement au discours critique sur le « troisième album d’un groupe de Rock ».

C’est l’album d’un groupe se sentant à l’étroit dans le Punk hardcore qui le révéla. Le souhait de sortir du dogme Punk s’y manifeste par une reprise de Kiss. Dans les années 1980, les chapelles musicales existent encore et cela revèle presque de la déclaration de guerre. Le groupe était également las des postures machistes présentes dans la scène l’ayant fait émerger. Le guitariste Bob Stinson se produira notamment sur scène avec une jupe rose.

Let It Be est un album contenant assez du Punk pour ne pas désarçonner les fans de la première heure et suffisamment de Power Pop pour marquer un changement. La mue sera complète sur Tim. Avec Peter Buck à la guitare, I Will Dare débute l’album en lorgnant vers les Byrds. Ironiquement, Paul Westerberg joue de la mandoline sur un titre qui ne sera pas le tube espéré, tandis que Buck composera à la mandoline les bases du mégatube Losing My Religion. Le titre du morceau est une pique à I Will Follow de U2. Il incarne l’absence de peur d’échouer d’un point de vue amoureux… et en tant que groupe.

Le Punk revient sur Favorite Thing, morceau sur la très adolescente recherche de validation de soi dans le regard de l’autre. Le cap Punk (avec un intermède au piano avant de réappuyer sur l’accélérateur) est accentué par We’re Comin’ Out, morceau évoquant les prestations live du groupe cherchant alors à prendre le public à contrepied.

Inspiré par ce qui arriva au bassiste Tommy Stinson, Tommy Gets His Tonsils Out raconte avec une part de drôlerie sur fond de Punk Rock le moment où Tommy se fait enlever les amygdales par un médecin incompétent ne disposant pas du gaz hilarant qui aurait atténué la douleur de l’opération. Calme, piano et Glam Rock sur le bien nommé Androgynous fantasmant un monde libéré des identités sexuelle comme le firent entre autres les Kinks avec Lola.

Black Diamond reprend Kiss en changeant en partie le texte : la prostituée n’est plus le personnage principal du texte mais le symbole du destin de ceux et celles qui signent pour devenir soldats. Un peu Byrds, un peu Stones, un peu Country Rock, Unsatisfied est le portrait d’un Rebel Without A Cause, un de ces adolescents mécontents de leur vie sans pouvoir clairement désigner la raison de ce mécontement. Si Westerberg place la frustration sur un plan musical, il n’a pour autant pas invalidé l’interprétation usuelle du morceau.

Pop et Punk avec en outre quelques notes de piano très Mick Garson, Seen Your Video règle ses comptes avec une promotion de la musique via MTV et le vidéoclip dans laquelle le groupe ne se reconnaît pas. Punk Rock basique recyclant Cat Scratch Fever de Ted Nugent, Gary’s Got a Boner narre la vision fantasmée du sexe d’un garçon qui se masturbe.

Le jingle jangle revient sur un Sixteen Blue à la tristesse de ton proche des Stones période Wild Horses, un morceau évoquant le mal-être adolescent et les doutes de son narrateur sur son orientation sexuelle. Avec ses guitares mi-Punk mi-ligne claire, Answering Machine conclut l’album par la métaphore de l’appel d’une fille pour tomber sur son répondeur afin d’évoquer la vie amoureuse du narrateur et/ou ses tentatives de séduction du sexe opposé.

Se plonger dans les textes aide à comprendre le culte immédiat à domicile et la présence constante aux States dans les listes de « plus grands de tous le temps » d’un album m’ayant séduit moins vite que d’autres classiques indie US de la période (au hasard: Murmur). Let It Be, c’est le récit de l’adolescence sous Ronald Reagan du point de vue de ceux et celles qui ne sont pas pom pom girls ou quarterbacks, ceux et celles qui s’imaginent assignés à vie au statut de losers pendant que le monde autour d’eux serait promis à la réussite privée et sociale. Oui, mais non sans la part d’humour et de distance sauvant in extremis de l’apitoiement sur soi.

Suivent des bonus avec démos, versions alternatives… et reprises. Une pas terrible de T-Rex (20th Century Boy). Un Temptation Eyes des Grass Roots (dont le Midnight Confessions était présent sur Jackie Brown) sonnant ici presque New York Dolls. Et la customisation Punk de Heartbeat, It’s a Lovebeat de la DeFranco Family (morceau mentionné par Mr. Pink dans Reservoir Dogs).

Outre un Perfectly Lethal déjà présent en bonus de la réédition 2008 et incarnant l’art du groupe d’utiliser le Punk Rock pour exprumer désirs et frustrations adolescentes, on trouve rayon vrais inédits Who’s Gonna Take Us Alive, Punk Rock musicalement pas très inspiré, et le meilleur et plus Pop Street Girl. Dans cette partie Bonus, on n’est pas forcément convaincu par l’ironie de la cover live de Hey Good Lookin’ de Hank Williams.

Le live fleuve (28 titres!) à Chicago ne vaudra de son côté que pour les fans de la première heure du fait de sa qualité sonore. On peut lui préférer la version intégrale du concert de l’EP promotionnel de 1989 Inconcerated Live, supérieure d’un point de vue sonore, présente sur le coffret Dead Man’s Pop. Reste que ce bonus vaut comme un témoignage de plus du mythe autour des concerts du groupe, tellement imprévisibles qu’on pouvait voir y surgir une reprise de Bryan Adams.

Un fanatique du groupe pourrait se plaindre qu’il ne s’agit pas, loin de là, de la première réédition avec Bonus de l’album par Rhino. On pourrait y voir l’équivalent pour un public d’initiés de ce qui se passe lorsqu’une maison de disque veut faire repasser à la caisse les fans de gros succès musicaux mainstream. Mais ce pressage de citron raconte en creux le fait que, à l’instar des Smiths, The Replacements a probablement été découvert par beaucoup de mélomanes américains après sa séparation (suivie d’une reformation pour un EP et des concerts dans les années 2010). Lire des articles américains donne l’impression que, à l’instar des Mancuniens ou des Stooges, la groupe a pu susciter côté anglophone un certain nombre de vocations d’écriture sur le Rock.

Si l’on devait garder un détail révélateur de la pochette de Let It Be, ce serait le mulet Rod Stewart. Un artiste apprécié par Westerberg mais déjà plus que ringardisé à l’époque après des débuts estimables. Une référence rappelant que la musique doit parfois sortir du bon goût académique pour se ressourcer.

Ordell Robbie

The Replacements – Let It Be (Deluxe Edition)
Label : Twin/Tone / Rhino
Date de publication : 02 octobre 1984 / 24 octobre 2025

 

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