Train Dreams déploie la trajectoire d’un bûcheron confronté à la beauté indifférente de la nature et aux violences de la civilisation. Porté par une image envoûtante et une narration littéraire, le film explore la fragilité des existences dans un monde qui disparaît.

Il est des influences qui sont plus lourdes à porter que d’autres. Quiconque verra Train Dreams, ou même sa seule bande-annonce, ne pourra s’empêcher de penser à Terrence Malick. Dans ce récit ténu, adapté d’une nouvelle, qui suit la vie d’un bûcheron au début du XXème siècle, la nature est en effet le personnage principal. Le superbe travail sur l’image du chef opérateur brésilien Adolpho Veloso multiplie les tableaux de l’heure bleue, où l’être humain contemple avec humilité un écrin séculaire. La singularité du format (en 3:2) accentue la verticalité des troncs, et semble reproduire les anciennes photographies, avec une forme de nostalgie mélancolique qui va irriguer toute la narration.
Train Dreams est un récit dont la linéarité est sans arrêt contrainte : le protagoniste, taiseux, s’enfonce toujours plus loin dans la forêt pour en abattre les arbres, tandis qu’il construit un parallèle un foyer où vient s’épanouir une modeste famille. Les trajets, le point fixe ; le labeur, l’insouciance oisive du home sweet home. Dans cet éloge panthéiste de la vie, l’arrachement au foyer donne à voir tout ce que la civilisation a de mortifère. Racisme, exploitation des ressources et des individus voient la mort surgir à chaque occurrence, comme des avertissements donnés au protagoniste sur la fragilité de toute existence.
Tout, dans Train Dreams, est question de ton. Celui de l’image, bleutée et dorée, traquant les fluctuations de la lumière et la puissance d’une nature indifférente au sort des hommes. Celui de la voix narrative, éminemment littéraire, travaillant la distance avec ce personnage, annonçant par moments le funeste destin qui l’attend, et la profonde vanité de toute entreprise au regard du temps. Un temps qui fait grandir une enfant lorsque son père est absent, qui laisse les hommes développer les techniques pour abattre les arbres plus vite qu’ils ne repoussent, et qui laisse l’homme et son savoir-faire sur le bas-côté lorsque de nouvelles machines le rendent obsolète.
La profonde tristesse qui se dégage du récit fonctionne sur un aveu d’échec assumé, un surplomb sur une petite destinée, perdue dans une forêt elle-même en voie de disparition. La décrépitude de toute chose, en somme, qui n’empêche pourtant pas les instants de plénitude, dans l’évidence de l’amour, la paternité ou le lien intime qui se noue avec la nature. Si l’écriture pèche un peu par excès de surlignage sur certaines séquences (les flash-backs, les voix hallucinées, et, finalement, toutes les séquences rêvées que le titre met curieusement en exergue), le parcours mutique du formidable Joe Edgerton l’emporte. Dans cette odyssée humaine, Clint Bentley ose certes pasticher Malick, voire Tarkovski, dans l’embrasure d’une porte ouvrant sur la beauté du printemps ou les rigueurs de l’hiver. Mais la quête cabossée de son personnage lui permet également de s’approprier pleinement un récit qui, d’une plate-forme sur la canopée à une excursion aérienne, permet d’atteindre une aussi émouvante que fragile transcendance.
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Sergent Pepper
