Trois ans après La Voix de L’eau, James Cameron est de retour avec le troisième film de la saga Avatar, lancée en grande pompe en 2009, et dont l’avenir semble aujourd’hui incertain. Sans révolutionner la franchise, le réalisateur continue de creuser son sillon, imperturbable et de plus en plus seul dans une industrie hollywoodienne en pleine mutation.

Il semble loin, aujourd’hui, le temps où Avatar inondait pour la première fois les salles du monde entier. James Cameron promettait alors de révolutionner le medium cinématographique, rien de moins, et présentait son film comme une utopie technologique, à portée de regard et d’émerveillements. Seize ans plus tard, les choses ont changé. Si la sortie de ce dernier opus fait toujours grand bruit, déployant toute la puissance du rouleau-compresseur promotionnel hollywoodien, force est de constater que le film ne représente plus un évènement comparable à celui que l’on a connu en 2009, ni même en 2022 avec La Voix de l’eau. Avatar n’est jamais devenue la saga cinématographique ultime qu’elle se promettait d’être, et James Cameron lui-même, triomphant il y a encore quelques années, se projetant sur quatre ou cinq films au moins, se fait aujourd’hui moins conquérant. La suite dépendra, dit-il maintenant, du succès commercial de ce dernier opus.
C’est ce pragmatisme – nous n’irons pas jusqu’à parler de modestie – qui contribue paradoxalement à rendre le film émouvant, et même sans doute, à le sauver de lui-même. On connait bien, en effet, le piège de l’inflation perpétuelle du grand spectacle hollywoodien franchisé, englué dans sa logique de conquérir toujours plus de marchés. Cameron semble avoir compris que même lui n’était pas « Too big to fail », et s’être contraint à maintenir son film dans les limites esthétiques, scénaristiques et visuelles qu’il avait déjà précédemment exploré. On n’assistera donc pas ici, comme le titre du film et certains de ses éléments promotionnels pouvaient le suggérer, à un changement d’univers aussi radical que celui qu’opérait le deuxième film, offrant à voir, en passant des forêts à l’océan, un monde entièrement renouvelé.
On suit au contraire le sillon du film précédent, dans une intrigue qui prolonge presque directement celle qui concluait La Voix de l’eau. Jake Sully (Sam Worthington), ancien marine devenu Navi, sa femme Neytiri (Zoé Saldana) et leurs enfants tentent de surmonter le deuil de Neteyam (Jamie Flatters), fils ainé de la fratrie. Des tensions éclatent au sein de la famille, alors que le colonel Miles Quaritch (Stephan Lang), ayant échappé à la mort in extremis, rallie à sa cause un peuple Navi de jouisseurs nihilistes et sanguinaires, adorateurs du feu. Ensemble, ils préparent une vengeance totale et sans merci.
C’est au bord des lagons bleu émeraude, le cadre presque toujours plein de cette eau que James Cameron aime tant filmer, depuis Abyss au moins et jusqu’à ses documentaires sur les fonds marins, que le film continue de s’attarder, s’émerveillant de ses propres rêveries. À tel point que le scénario lui-même parait parfois begayer, multipliant les situations de rapts et de poursuites. Et si le film parvient à intégrer de façon convaincante des nouveaux personnages comme Varang (Oona Chaplin), cette prêtresse du feu qui amène à la saga une dimension (chaste) de sensualité et de terreur féminine, multipliant autour d’elle, comme un clin d’œil à Alien dont Cameron réalisa le deuxième chapitre, des éléments rappelant la symbolique du « vagin denté », on sent que l’intérêt du réalisateur est ailleurs. Il réside plutôt dans le soin infini porté aux détails et à la composition d’un plan serré d’yeux de tulkun, ces créatures-baleines dont le réalisateur sous-titre les « dialogues », d’un geste à la fois touchant et naïf.
C’est cette naïveté, justement, qui fait tout le sel de ce troisième opus. Naïveté que l’on retrouve dans la production même de ces films aux budgets titanesques et à l’empreinte carbone délirante, qui entendent le plus sincèrement du monde, promouvoir une écologie intégrale. Mais naïveté, également, ou bien foi vibrante et absolue, de croire jusqu’au bout à la puissance du Cinéma. C’est ce que ce troisième film fait entrevoir avec netteté : Avatar, qui se rêvait à l’origine comme une aube cinématographique, un nouveau départ qui permettrait par la magie technologique, de s’émerveiller comme au temps des frères Lumière d’un brin d’herbe secoué par le vent ou d’un rayon de soleil sur la peau d’un visage, marquera plus sûrement la fin d’une époque. Au fond Titanic était déjà, à sa manière, un enterrement en grande pompe de la grande forme hollywoodienne du vingtième siècle, célébrant, une toute dernière fois, le mélodrame classique et ces foules de figurants réels qui bientôt seraient remplacés numériquement, comme ce paquebot reconstruit à l’identique qui ne pourrait plus exister aujourd’hui que sur fond vert. Au temps de Netflix, de Marvel et aujourd’hui de l’IA, Avatar sera peut-être lui aussi le dernier film de cette envergure à pouvoir se permettre de reconduire ainsi, en toute innocence, ces vieux récits d’autrefois.
Aussi n’est-ce pas un hasard, sans doute, si James Cameron a voulu clore son film sur une citation évidente de l’ultime scène de son Titanic : celle qui voyait tous les personnages engloutis par les eaux ressuscités et sourire à la caméra, une toute dernière fois, comme un salut final ; un ultime regard jeté sur la page avant de la tourner.
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Alexandre Piletitch
