Fêter Noël avec Netflix, c’est désormais, tous les trois ans, avoir la possibilité de suivre une enquête du facétieux détective Benoît Blanc. Cette année, dans un registre différent, quasiment gothique, il se frotte à une communauté de fanatiques religieux…

Après le succès de ce whodunnit 100% british qu’était A Couteaux Tirés, la saga des enquêtes du flamboyant détective Benoît Blanc, décalque quasiment « camp » du célébrissime Hercule Poirot, a explosé sur les téléviseurs du monde entier, avec un Glass Onion plus universel, furieusement bling bling, parfaitement synchrone avec la folie de notre époque. Convaincant les décideurs de chez Netflix qu’ils tenaient là un vrai filon, une sorte de version grand public, déclinable quasiment à l’infini (il suffit de penser au nombre d’aventures d’Hercule Poirot créées par Agatha Christie !) d’un cinéma d’auteur : car, quoi qu’on pense de son oeuvre, Rian Johnson est un « auteur », un homme de projets certes divertissants mais ambitieux. Et, après ses désaccords avec Disney sur sa vision pour la poursuite de la saga cinéma de Star Wars, on peut imaginer le soulagement de Johnson à l’idée d’être désormais soutenu par Netflix (il a d’ailleurs annoncé officiellement se retirer de tout projet Star Wars à l’avenir).

Ce qui nous amène à ce troisième volet de A Couteaux Tirés, sorti pour Noël 2025, trois ans après Glass Onion. Un nouveau film surprenant – et ne manquant donc pas d’audace – puisque c’est cette fois dans le genre « gothique » (ou « néo-gothique » comme on dirait aujourd’hui) que s’inscrit Wake Up Dead Man. Cette troisième enquête de Benoît Blanc l’entraîne en effet au sein d’une petite communauté religieuse US qui vient de perdre son leader, son maître à penser, Mons. Jefferson Wicks (Josh Brolin, très convaincant), assassiné dans des circonstances impossibles à l’intérieur d’une pièce fermée de son église. Les soupçons portent sur un jeune prêtre fraîchement arrivé dans la paroisse, Fr. Jud Duplenticy, qui a eu théoriquement le temps de commettre le meurtre, mais que Blanc juge immédiatement innocent. Et qu’il décide d’utiliser comme assistant pour son enquête.
Mais Wake Up Dead Man, avant d’user et d’abuser des codes du roman gothique, en les transperçant régulièrement d’une bonne dose humour corrosif, a pris le temps de nous présenter, avec beaucoup de sérieux, le personnage de ce jeune prêtre habité par une foi sincère, qui contraste et avec le fanatisme religieux des locaux, et avec le rationalisme imperturbable de Blanc. C’est l’impressionnant Josh O’Connor, très remarqué pour son interprétation dans Re-Building, qui réussit ce véritable miracle cinématographique de rester le centre « humain », touchant, parfois même bouleversant, d’un film qui choisira la plupart du temps l’outrance plutôt que le réalisme. Il faut le reconnaître, sans la présence d’O’Connor, Wake Up Dead Man ne serait pas la (petite) réussite qu’il est.
Non pas que Daniel Craig ne soit pas gracieux et divertissant comme on l’attend, ni que la grande Glenn Close ne nous livre pas dans la dernière partie du film un joli numéro d’actrice. Et on ne peut pas nier non plus que Johnson fait un beau travail à la mise en scène, s’amusant à créer des atmosphères fantastiques réussies, sur un script qui a de plus l’intérêt de pointer les actuelles dérives religieuses et complotistes de l’extrême droite US, injectant (très clairement dans la conclusion du film) des éléments politiques inattendus dans un tel film.
Le gros problème de Wake Up Dead Man se situe dans son scénario véritablement excessif, ajoutant sans cesse de nouvelles « couches » à son mystère originel, accumulant jusqu’à l’outrance les retournements de situation : même si cela fait évidemment partie du contrat entre A Couteaux Tirés et nous, le degré de complexité absurde des péripéties finit par rompre le fameux « pacte de croyance » essentiel à la crédibilité d’un film. Et à la satisfaction du spectateur. Sur le plan purement « policier », Wake Up Dead Man est donc une déception.
Heureusement, le film ouvre d’autres pistes intéressantes, en particulier dans cette scène étonnante où Blanc, comme baigné de lumière divine, interrompt son habituel cabotinage lors de sa démonstration publique de ses talents de déduction. Le “miracle” de la résurrection attendue par les fidèles est évidemment un défi lancé au rationalisme de Blanc, et le film raconte le conflit entre le « récit religieux » et l’approche logique et scientifique de l’enquêteur… sans refuser pour autant la possibilité que la foi de Jud et la passion de Martha puissent réduire – brièvement, mais quand même – au silence la voix de la raison. On peut regarder ce vacillement temporaire de Blanc comme un détail (visant à créer un suspense supplémentaire), mais il réintroduit le vrai miracle de l’humanité, celui de l’empathie, de la compréhension, de la préoccupation pour l’autre, quelles que soient ses croyances, au sein de ce qui ne serait sinon qu’une autre « accumulation » d’acteurs connus, de sous-intrigues proliférantes et de thèmes, typique de la « méthode Netflix« .
Grâce à ça, même s’il n’est pas le meilleur film à date de la série A Couteaux Tirés, Wake Up Dead Man se révèle plutôt stimulant.
![]()
Eric Debarnot
