Il fut un temps où les films de Jacques Doillon arrivaient sur nos écrans à un rythme quasi annuel : c’était pendant la décennie 1970 et ils avaient pour titre Les Doigts dans la tête, La Femme qui pleure, La Drôlesse…autant d’oeuvres qui appartiennent à notre patrimoine cinématographique. Les vingt ans qui ont suivi n’ont guère vu diminuer l’activité foisonnante du réalisateur du Petit Criminel. Aujourd’hui sexagénaire connaissant des ennuis de santé, Jacques Doillon n’avait pas tourné depuis cinq (longues) années. Non par manque d’envie ni d’idées (la vue du Premier venu est bien là pour attester de la pleine forme créatrice du cinéaste), mais plus prosaîquement à cause des soucis rencontrés pour financer son travail. Quand on pense que Fabien Onteniente dispose d’un circuit de près de 700 salles et qu’il en échoit à peine 40 à Doillon, outre la tristesse éprouvée, on se dit que quelque chose ne tourne décidément pas rond dans le cinéma hexagonal.
Pourquoi en effet avoir à se priver d’un bonheur de cinéphile face aux aventures plus légères que graves, plus fantaisistes que tristes, de Camille, Costa, Cyril et Gwendoline ? Camille, jeune fille au prénom unisexe en parfaite harmonie avec l’ambivalence de son personnage, tantôt mutine et bavarde, tantôt observatrice et opaque, choisit de donner son amour au »premier venu » une périphrase à prendre dans une double acception : premier au sens initial, originel et premier venu avec sa connotation péjorative, sinon méprisante.
Une appréciation dans laquelle on serait aisément tentés de tenir Costa, le garçon sur lequel Camille a jeté son dévolu : un pauvre gars dans la galère, pas bien beau, pas bien grand et surtout pas très heureux d’avoir une amoureuse enquiquineuse à ses basques.
Nous entrons frontalement dans le vie de ces deux-là au moment où ils sortent de la gare d’Abbeville. Costa n’y a pas remis les pieds depuis trois ans, y laissant sa femme Gwendoline se débrouiller seule avec sa fille Kimberley. Les allées et venues des jeunes gens sont épiées par Cyril, ami d’enfance de Costa et flic.
C’est une nouvelle fois les relations amoureuses entre des personnages jeunes qui sont au centre du dernier film de Doillon. Comme dans un territoire connu, on y retrouve le même cinéma très dialogué, très écrit à la theâtralité évidente. Le Premier venu est découpé sur quatre jours, comme autant d’actes, eux-mêmes divisés en plusieurs moments (scènes). Que ce soit sur les plages nimbées d’une luminosité blanche sous de magnifiques ciels délavés ou dans des chambres d’hôtel, l’impression qui domine est bien que chaque décor devient celui d’une scène. L’incessant mouvement des corps qui se cherchent, s’apprivoisent ou se rejettent renforce ce sentiment d’une représentation.
Le paradoxe persiste chez Doillon qui oppose l’artificialité des dialogues à la brutalité directe qui semble émaner des personnages. Un contraste particulièrement net chez Costa, petit voyou brisé et violent, capable de se déconsidérer lui-même (répétant en leitmotiv : je ne suis qu’un naze).
Le marivaudage jusqu’au-boutiste auquel se livre le quatuor dirigé par la mystérieuse Camille – campée par une découverte dont le cinéaste a le secret : la lumineuse Clémentine Beaugrand – n’est ici entâché d’aucune cruauté ni aucun drame, malgré le jeu avec les armes, mais même les canards sont en plastique. Au contraire, de situations à priori scabreuses – un agent immobilier coureur de jupons tente d’abuser de Camille – Doillon parvient à y instiller cocasserie et gouaillerie (la plantureuse Gwendoline n’est pas en reste).
Pour qui est sensible aux partitions de Doillon qui exaltent la finesse et l’intelligence par le truchement de dialogues ciselés, Le Premier venu, installé dans un décor grandiose (la Baie de Somme entre mer et terre) dont le réalisateur sait retirer tous les profits, sera un ravissement durable pour les yeux et les oreilles.
Patrick Braganti
Le Premier venu
Film français de Jacques Doillon
Genre : Drame
Durée : 2h03
Sortie : 2 Avril 2008
Avec Clémentine Beaugrand, Gérald Thomassin, Guillaume Saurrel
La bande-annonce :
Pas d’accord sur le fait que chaque décor devient celui d’une scène, c’est un cinéma tout sauf figé dans un lieu ; l’expression de la mobilité nous emmène constamment ailleurs en un temps, on ne se pose jamais quelquepart, on a toujours l’impression de redécoller, à peine après s’être habitué à un endroit. Donc je ne trouve pas ça théâtral pour ma part! Très belle critique en tout cas, et très beau film, un des meilleurs Doillon depuis fort longtemps… (histoires plus légères que graves? Plus fantaisistes que tristes? Oui et non à la fois, rien que les scènes avec le père de Costa sont déchirantes, voir un père qui n’a plus fonction de son rôle est quelquechose de grave et de triste à la fois!)
Pas d’accord sur le fait que chaque décor devient celui d’une scène, c’est un cinéma tout sauf figé dans un lieu ; l’expression de la mobilité nous emmène constamment ailleurs en un temps, on ne se pose jamais quelquepart, on a toujours l’impression de redécoller, à peine après s’être habitué à un endroit. Donc je ne trouve pas ça théâtral pour ma part! Très belle critique en tout cas, et très beau film, un des meilleurs Doillon depuis fort longtemps… (histoires plus légères que graves? Plus fantaisistes que tristes? Oui et non à la fois, rien que les scènes avec le père de Costa sont déchirantes, voir un père qui n’a plus fonction de son rôle est quelquechose de grave et de triste à la fois!)
Pas d’accord sur le fait que chaque décor devient celui d’une scène, c’est un cinéma tout sauf figé dans un lieu ; l’expression de la mobilité nous emmène constamment ailleurs en un temps, on ne se pose jamais quelquepart, on a toujours l’impression de redécoller, à peine après s’être habitué à un endroit. Donc je ne trouve pas ça théâtral pour ma part! Très belle critique en tout cas, et très beau film, un des meilleurs Doillon depuis fort longtemps… (histoires plus légères que graves? Plus fantaisistes que tristes? Oui et non à la fois, rien que les scènes avec le père de Costa sont déchirantes, voir un père qui n’a plus fonction de son rôle est quelquechose de grave et de triste à la fois!)