» Ce n’est pas un drame » aime à répéter Georg. Formule qui tient sans doute de la méthode Coué ou de l’auto-persuasion. Car il y a bien un drame au sein du couple qu’il forme avec sa femme Anne, un couple qui pourtant semble susciter l’envie et l’estime de l’entourage professionnel de Georg. Celui-ci est en effet un policier dévoué, aussi bien apprécié de ses collègues que par sa hiérarchie qui lui laisse d’ailleurs entrevoir une prochaine promotion.
Or, Georg est un homme battu qui encaisse les coups et la violence soudaine de sa femme avec un stoîcisme qui confine à l’apathie et ne fait que redoubler et raviver la pluie de poings et de coups de pieds qui s’abattent sur lui. Alors que tous deux paraissent sereins à l’extérieur – Anne est une institutrice attentive et consciencieuse – la tempête se soulève à intervalles de plus en plus rapprochès une fois enfermés dans leur appartement où seuls leurs deux enfants étudiants viennent leur rendre visite.
Sujet à priori casse-gueule et se prêtant à tous les dérapages possibles, il est ici traité par Jan Bonny, jeune réalisateur allemand de 28 ans dont c’est le premier film, avec une maîtrise et une audace remarquables. Se refusant à enfermer ses personnages dans les stéréotypes, il choisit au contraire la voie d’une certaine complexification qui ne fait pas de Georg la victime expiatoire et d’Anne le bourreau insensible.
Le titre français est à cet égard tout à fait judicieux : car la préposition contre peut ici s’entendre dans une double acception, celle de l’opposition hostile et celle de la juxtaposition. On est d’abord tenté d’identifier seulement les motifs qui clivent le couple mais on perçoit progressivement en quoi cette curieuse et morbide relation semble obéir à la double force contradictoire de l’attraction et de la répulsion.
Il suffit de quelques scènes chez les parents d’Anne pour entrevoir les possibles raisons de son comportement. Rabaissée par un père qui contribue aux besoins du ménage en finançant les études de ses petits-enfants, Anne vit très mal le manque de reconnaissance et l’humiliation sous-jacente, accentuée par l’attitude soumise et falote de Georg. Pour ce dernier, la préservation des apparences constitue sa ligne de conduite. Etrangement, lorsqu’Anne le trompe avec un collègue qu’il tente de promouvoir et d’aider, Georg à son habitude ne réagit guère, plus gêné par les coups que sa femme lui assène devant un collègue médusé.
Presque autarcique, le couple paraît tout à la fois ne plus se supporter mais ne pas être en mesure de se séparer, ce que l’issue de L’Un contre l’autre entérine de manière troublante et désespérée. Le duo en arrive à un stade où s’opère une étrange fusion qui en fait une sorte d’hydre à deux têtes, ou si l’on préfère, les deux revers d’une même pièce. Bénéficiant d’une interprétation magistrale de ses deux interprètes – Matthias Brandt restitue avec un jeu minimal la passivité angoissée de Georg et Victoria Trauttmansdorff fait d’Anne un personnage anxiogène et imprévisible – L’Un contre l’autre, tourné avec peu de moyens, vient s’ajouter à tous les films venus d’Allemagne ces derniers temps qui confirment un renouveau enthousiasmant.
Patrick Braganti
L’Un contre l’autre (titre original : Gegenuber)
Film allemand de Jan Bonny
Genre : Drame
Durée : 1h36
Sortie : 30 Avril 2008
Avec Matthias Brandt, Victoria Trauttmansdorff, Wotan Wilke Mohring