Annemarie Jacir, cinéaste et poétesse, originaire de Cisjordanie, a placé la Palestine au coeur de son premier film. Parfois imparfait et confus, un peu trop manichéen, Le Sel de la mer est à l’évidence habité par la colère de la réalisatrice et peut être classé dans la catégorie des films engagés, aux échos politiques. Une colère manifestée en réaction épidermique à l’occupation israélienne qui limite, voire empêche, toute possibilité de libre mouvement pour les Palestiniens. Paradoxalement, l’héroîne du film Soraya accomplit le chemin inverse : petite-fille de réfugiés palestiniens née à Brooklyn, elle revient sur la terre de ses ancêtres.
Un retour compliqué, tel que la scène introductive nous le montre : Soraya doit subir de longs interrogatoires avec les mêmes questions insidieuses et une fouille approfondie pour pouvoir sortir de l’aéroport : malgré son passeport américain, ses origines et les motivations floues de son voyage – elle répète à l’envi qu’elle est ici pour visiter – la rendent suspecte aux yeux des autorités douanières. Hébergée par une amie qui disparaît très vite du scénario, Soraya croise le chemin de Emad, un serveur qui projette de faire le parcours opposé : obtenir un visa, partir au Canada et enfin quitter Ramallah où il est prisonnier depuis dix-sept ans. Emad éprouve d’abord quelques difficultés envers l’obsession de Soraya à vouloir récupérer l’argent de son grand-père dont le compte datant d’avant 1948 a depuis longtemps disparu et l’argent qu’il contenait avec. Mais un nouveau refus du visa tant convoité et une altercation dans le restaurant où il travaille finissent de convaincre Emad. S’ensuit un road-movie, de l’intérieur des terres au bord de la mer à Tel-Aviv et Jaffa.
La mer joue en effet un rôle symbolique prépondérant : elle fut le dernier contact des réfugiés exilés en 1948 (date de la création de l’état hébreu) avec le pays qu’ils quittaient en bateau. Aujourd’hui, elle représente pour Emad et les siens un endroit hors d’atteinte en dépit de sa proximité et de l’importance culturelle qu’elle représente pour le peuple palestinien. Le Sel de la mer se pare alors d’atours documentaires, notamment dans les plans qui montrent les kilomètres du mur érigés par le pouvoir israélien. Annemarie Jacir parvient à nous faire ressentir la pression constante qui entoure les rapports entre les deux communautés avec les scènes habituelles aux checks-points, devenues comme un rituel obligé du cinéma moyen-oriental.
Tourné dans des conditions difficiles entre Cisjordanie et Israël, Le Sel de la mer porté par un sentiment de révolte et de rage ne laisse présager peu d’espoir. Au contraire, il précipite ses personnages dans la spirale de l’illégalité et la clandestinité, dont on pressent l’inéluctabilité de l’issue. Déjouant longtemps l’enjeu de l’histoire d’amour, il la condamne tout aussi rapidement. Dès lors, le film s’imprègne d’une tristesse indéfectible, qui gagne aussi le spectateur, devant les sacrifices absurdes, endurés par les populations au nom d’une réalité politique paranoîaque.
Patrick Braganti
Le Sel de la mer
Film français, palestinien de Annemarie Jacir
Genre : Drame
Durée : 1h45
Sortie : 3 Septembre 2008
Avec Suheir Hammad, Saleh Bakri, Ryad Dias
La bande-annonce :