Michael

Il faut croire que Michael Haneke a entraîné tout le cinéma autrichien dans son sillage. Michael, chronique déshumanisée d’un pédophile séquestrant un enfant, rappelle en effet les premières oeuvres du Maître lui-même. Un premier film glaçant et le portrait d’un monstre ordinaire.

Ruth Madder pour Struggle, Jessica Hausner pour Lovely Rita ou le controversé Ulrich Seidl pour Dog Days avaient déjà  choisi la banlieue pavillonnaire autrichienne pour décrire froidement ce qui se passe derrière les portes et fenêtres des maisons et ce qu’on y voit n’est pas joli, joli. Tout comme chez Michael Haneke (le 7e continent, Benny’s video), incontournable figure tutélaire d’un cinéma autrichien radical et exigeant. Markus Schleinzer, réalisateur de Michael et ancien directeur de casting de Haneke, n’est pas une exception dans un paysage cinématographique étrangement homogène.

Mais dans le pays de Natascha Kampusch et de son ravisseur, Wolfgang Priklopil, son film se charge d’un contexte périphérique qui ne peut que mettre mal à  l’aise : qu’est-ce qui de l’ordre de la fiction ? Qu’est ce qui est de l’ordre de la réalité ? Son film est en phase avec le cinéma autrichien mais peut-être aussi avec une partie de la société autrichienne elle même. Malaise.

Présenté à  Cannes cette année et y ayant crée la polémique, Michael est donc une histoire de pédophilie :  on y suit les six derniers mois du quotidien de Michael, 35 ans, le bourreau et de Wolfgang, 10 ans, la victime. Et leur vie à  bien des égards est des plus banales. Comme un père célibataire vivant avec son fils des moments de tous les jours : Michael prépare le dîner et met précautionneusement la table ; il emmène le petit  faire une balade à  la montagne ; ils font ensemble le ménage de la chambre de Wolfgang ; ils chantent un chant de Noël devant le sapin décoré (séquence surréaliste), le faux père soigne son faux enfant. Il n’y a pas d’affection entre les deux certes, plutôt des rituels routiniers ; mais n’est-ce pas le cas dans bon nombre de familles ?

Sauf que Wolfgang est bel et bien séquestré, sa chambre est une partie de la cave aménagée en conséquence et doublement verrouillée. Sauf que Michael envisage de tuer le petit si celui-ci reste un peu trop longtemps malade. Sauf que Michael abuse sexuellement de ce qui est une vraie victime. Le sujet est pour le moins délicat à  montrer et Markus Schleinzer choisit l’ellipse et le minimalisme pour décrire l’horreur : par exemple, »Michael ouvre la porte de la cave. Cut. Michael se lave le sexe dans le lavabo. Cut« . Il n’en faut pas plus pour comprendre et ce procédé allusif et frontal rend le film, encore plus violent et le préserve de la complaisance, un travers dans lequel il ne tombe jamais à  la différence par exemple de Dog Days. En quelques plans, le cinéaste arrive à  nous rappeler quel est le sujet de son film et la vraie relation qu’entretiennent Michael et Wolfgang. Au cas où on l’oublierait avec ces images répétées d’un quotidien atone, ces quelques piqûres de rappel suffisent pour faire froid dans le dos. De même, tous les plans ici comptent. Il n’y a pas de maniérisme, de chichis, le film est avant tout composé de plans fixes. Mais comme le sujet est ce qu’il est et comme le cinéaste crée pour son film un dispositif aussi précis et minutieux que son personnage le fait pour transformer sa maison en prison, certains plans fixes se remplissent d’une bonne dose de tension. Par exemple, lorsque que la mère de Michael passe en revue tous les méandres de la cave sans prêter attention à  celle où est séquestré le jeune garçon, on retient son souffle.

Michael n’est pas un film caricatural et Schleinzer ne charge pas trop la mule quand il s’agit de décrire son personnage principal : Michael n’est qu’un monstre ordinaire, froid, solitaire, maladroit dans son corps, mal à  l’aise dans la communication : le vrai type discret que personne ne remarque et qui fait le bonheur de la société d’assurance où il travaille et  où on lui propose même une promotion. Avec son physique passe-partout et dans un jeu ne laissant transparaître aucune émotion ou presque, Michael Fuith est parfait pour le rôle.

Dans cette vraie mécanique implacable, Scheintzler distille quelques moments qui nous font comprendre comment le pédophile arrive à  créer une emprise sur sa victime, comment l’enfant manipulé peut rester relativement docile (y compris en dehors de sa prison, à  l’extérieur en présence d’autres adultes). Markus Schleinzer verrouille son scénario et rend son film atrocement réaliste et plausible.

Film non aimable par son sujet et son traitement déshumanisé, Michael est bel et bien le genre d’oeuvre qui hante celui qui le regarde bien longtemps après la fin de sa projection. Un premier film prometteur.

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Denis Zorgniotti

Michael
Drame autrichien de Markus Schleinzer.
Sortie le 9 novembre 2011
Durée : 1h36.
Avec Michael Fuith, David Rauchenberger…

1 thoughts on “Michael

  1. Le premier billet ciné de Denis (très bon papier, en plus), ça se fête. Tous au ciné pour faire la foire devant « Michael » !
    Heu, on va choisir un autre film, pardon…

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