Après son désastreux passage aux Etats-Unis, Mathieu Kassovitz a retrouvé une liberté d’auteur bien plus européenne que ses deux précédents travaux forcés. L’Ordre et la morale, adaptation du livre de Philippe Legorjus, ancien capitaine du GIGN, est un plaidoyer ravageur pour la paix et le droit à la parole. En apparence, le point de vue peut gêner ; la focalisation du film se fait uniquement sur l’officier Legorjus, capitaine français venant semer sans le vouloir le trouble sur les terres de Nouvelle-Calédonie.
La réalité parle d’un homme sensible et réfléchi, envoyé par l’État pour calmer les tensions guerrières entre le peuple kanak et l’armée française venue camper en force supérieure suite à un attentat armé contre des gendarmes français installés sur l’île d’Ouvéa. Pour une grosse production française la décision d’être dans son propre camp, dans celui du héros français – et du lâche vu de l’autre côté – est une dangereuse participation historique. Mais en réalité Mathieu Kassovitz se sert du personnage de Legorjus non pas pour le glorifier et le hisser au statut de héros, même si l’attitude noble de ses faits ne peut que le rendre beau, mais plutôt en tant que justification pour montrer l’intégralité des actions puisque seuls Legorjus et ses hommes ont pu établir un dialogue véritablement humain et essentiel avec les indépendantistes kanak. C’est aussi par le prisme de ce personnage que le film semblait le plus apte à rendre compte des différentes facettes dramaturgiques et morales de cette histoire. Le film, dans une réalisation superbement ample, montre d’abord le terrain et la dissipation mentale des troupes face à l’incompréhension des faits et l’incapacité à communiquer efficacement avec les rebelles. Ensuite le scénario se concentre sur le conflit moral de Legorjus entre la parole qu’il donne à Alphonse Dianou, le leader des indépendantistes, et ainsi son amitié, puis ses obligations professionnelles et les ordres de la hiérarchie en pleine période de campagne présidentielle.
Le script de Mathieu Kassovitz, Pierre Geller et Benoît Jaubert, a le mérite de rendre par des lignes très claires les multiples enjeux au sein d’un tel récit. A la fois manigances politiques, dessous de table à échelle nationale, compréhension d’une cause opposée, amitié, trahison, vérité masquée et mensonge révélés, dialogue politique et humain, L’Ordre et la morale jongle assez brillamment entre tous ces aspects forgeant une dramaturgie riche. Kassovitz renoue aussi avec une interprétation nuancée et sensible qui donne à son partenaire, le superbe Iabe Lapacas, une substance de répondant supplémentaire. C’est d’ailleurs son magnifique personnage de rebelle tendre qui porte le film d’un bout à l’autre, avec une élégance dont on n’oubliera pas de sitôt les vertus cinématographiques. On regrette souvent l’effacement des seconds rôles, l’enfoncement un peu moins subtil de la seconde partie débutant par un long plan-séquence d’assaut ainsi que des dialogues généralement trop écrits qui semblent être les fantômes de la période américaine du réalisateur de La Haine. Pour autant son style si vaste sur un sujet universel et profondément humain semble très contrôlé, jusque dans ses excès; Kassovitz n’a pas peur d’en faire trop, de filmer des hélicoptères dans toute leur démesure et d’étaler son confortable budget à l’écran. Mais cette consistance visuelle a un but, assez simple finalement, celui de pénétrer chaque décor, de le faire respirer et d’y montrer le terrain de jeux des hommes face à un conflit qu’ils ne maîtrisent plus. L’inventivité de la réalisation, la complexité du récit et la moralité très forte qui s’en dégage font de ces retrouvailles entre le cinéaste et la mise en scène un beau moment de cinéma français révolté, assumant son amplitude et gonflant son style pour donner à cette belle histoire une énergie et une force qui sont à son image.
Jean-Baptiste Doulcet
L’Ordre et la morale
Drame historique français de Mathieu Kassovitz
Sortie : 16 novembre 2011
Durée : 02h16
Avec Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas, Malik Zidi,…