Difficile de mettre Jérôme Attal dans une case. On aurait pu parler musique : parolier pour d’autres, il a lui-même sorti trois albums dont un Comme elle se donne remarqué (le disque date de 2005 mais l’homme n’a pas encore dit son dernier mot). On aurait pu parler cinéma, Jérôme Attal est cinéphile et pour s’en convaincre, il suffit de lire ce qui suit. Mais c’est au Jérôme Attal écrivain que nous avons décidé de donner la parole. Presque la mer, son dernier roman, sortira chez Hugo & Cie le 7 mai prochain et avant cela, on pourra (re)découvrir en poche (chez Pocket), L’Histoire de France racontée aux extraterrestres, son précédent livre où son humour décalé fait merveille. Son 5+5 est à son image, référencé, passionné… et très rock
5 livres du moment :
Donna Tartt » Le chardonneret »
Je le lis dans sa version française et je dois dire que le style est excellent. Cela étant, je peine à retrouver l’émotion que m’a procuré le premier roman de Donna Tartt : » Le maître des illusions « . Mais c’est entièrement de ma faute, je crois que je n’aime que les histoires d’éternels adolescents perdus dans la vie ou sur des campus et amoureux de filles mystérieuses comme la diaphane et sombre Camilla Macauley.
Keith Richards » Life »
Cette fois je le lis en anglais. Lors d’un récent séjour à Londres, j’ai fait le plein de biographies géniales parmi lesquelles celle de Morrissey et celle de Keith Richards. C.’est rapide, cinglant, ça démarre au quart de tour avec l’épisode de la drogue en Arkansas. Longtemps, ma chanson préférée de Mick et Keith a été » Fool to cry » c’est vous dire si je n’y connais rien aux Stones. J.’ai toujours été très Beatles. La seule fois où je me suis inscrit à un club, c’est à l’âge de 8-9 ans, au club des Fab four de Liverpool.
À une soirée Stones organisée par Nicolas Ullmann, j’ai découvert un groupe français qui s’appelle : » Marshmallow » et ils ont fait une reprise totalement géniale de « Mother.’s little helper « . Du coup ma chanson préférée des Rolling Stones c’est devenu Mother.’s little helper par les Marshmallows.
Jean Douchet » l’homme cinéma »
Pour moi, les entretiens de peintres, comme ceux de Francis Bacon avec David Sylvester, ou les entretiens de cinéastes sont un genre littéraire à part entière. J.’ai fait une année d’études en cinéma avant de bifurquer vers l’histoire de l’art et à cette époque j’assistais aux cours de Jean Douchet à la cinémathèque qui était encore située au Trocadéro. Il projetait un film, je me souviens de » Madame de » » d’Ophüls, et ensuite ce qu’il nous racontait était absolument passionnant. Bien sûr, j’ai un côté truffaldien prononcé alors à un moment mon attention se détournait pour se poser sur la nuque d’une jeune personne assise en tailleur devant moi, et je quittais la théorie pour m’inventer mes propres fictions. Alors je me rattrape aujourd’hui en lisant ce livre qui vient de sortir, à moins que je ne le lise dans le métro et qu’une nouvelle fois mon attention se détourne car une fille au cou absolument splendide vient d’entrer dans la rame »
Jonathan Ames » Une double vie, c’est deux fois mieux »
Je ne sais pas qui a trouvé ce titre particulièrement laborieux en français. Du coup j’ai acheté la version originale. Je suis un grand fan de Jonathan Ames jusqu’à sa super série pour HBO avec Jason Schwartzmann dans le rôle de l’écrivain. J.’adorerai écrire un truc comme ça pour la télé française.
Ce roman est un recueil de textes et de nouvelles à la fois sexy, voire sexuelles, et toujours très malicieuses et mordantes. Les récits de sa tournée des bars avec Lenny Kravitz et de sa visite chez Marilyn Manson sont de grands moments de littérature.
Henry Miller » Capricorne »
Ce n’est pas vraiment un livre du moment, mais c’est le livre que je lis en ce moment. En fait, la maison d’éditions Hugo & cie qui va éditer mon nouveau roman, le 7 mai prochain, vient de publier la première version, l’ébauche à ce jour inédite, de Tropique du Capricorne d’Henry Miller.
Je ne sais pas trop quoi penser d’Henry Miller. Il a du mal à digérer Dostoîevski alors il cherche à faire beaucoup l’amour, car comme chacun sait ça facilite la digestion.
Cependant son oeuvre littéraire prend beaucoup d’attrait pour moi depuis que je l’ai passée au tamis du film de Philipp Kauffman : Henry and June. Uma Thurman est tellement fascinante dans le rôle de June Miller que je vois son visage à chaque page des romans d’Henry et que le plaisir de lecture en est décuplé. Partant de ce constat, je plains les écrivains dont les adaptations cinématographiques de leurs romans ont proposé des tromblons pour incarner leurs héroînes.
, 5 livres de toujours :
Vladimir Nabokov » Ada ou l’ardeur »
J.’aime beaucoup cette idée de François Truffaut qui dit que chaque individu possède pas plus de quatre ou cinq thèmes qu’il n’arrête pas de ressasser (mais dans notre cas, disons : travailler) jusqu’à l’obsession. J.’ai au moins deux thèmes en commun avec le Nabokov d’Ada ou l’ardeur, la nostalgie d’un paradis perdu, en l’occurrence celui de l’enfance, et la quête de l’amour sensuel absolu. Bon, pour le reste, je suis loin d’avoir le niveau. Mais deux thèmes en commun c’est déjà pas mal. à‡a incite à une trajectoire littéraire.
Dostoîevski, » l’idiot «
Découvert à 20 ans dans la géniale traduction d’André Markowicz chez Babel, je me prenais pour une sorte de prince Mychkine errant dans les couloirs de Paris III. Censier-Daubenton fut mon Saint-Pétersbourg, à la recherche de ces filles aux sentiments indécis que je transformais en rêve en Aglaîa Epantchine ou Nastassia Filippovna.
J.’adore aussi l’opposition Rogojine/Mychkine que j’aime retrouver dans les oeuvres qui me fascinent, comme Les enfants du Paradis de Carné et Prévert. Les personnages joués par Pierre Brasseur et Jean-Louis Barrault. Dans un court roman que j’ai consacré aux Beatles je me fais l’écho de l’opposition Tolstoî/Dostoîevski en la rapprochant de celle incarnée par les Beatles et les Stones. Une vision binaire du monde contre laquelle le compositeur de musique contemporaine Pierre Charvet s’insurge. » D.’ailleurs, me dit Pierre, les Beatles sont moins académiques que les Stones, c’est une idée reçue de croire le contraire ; la musique des Stones est incluse dans celle des Beatles alors que ce n’est pas réciproque. «
J.D. Salinger, » Nine stories «
Plus encore que l’attrape coeurs, je suis complètement fanatique des neuf nouvelles qui composent ce livre. Mon roman Le garçon qui dessinait des soleils noirs est ma solution à moi de mon amour à la fois de Salinger et de ma passion pour Marguerite Duras. C.’est ce que j’aime en littérature, c’est que bien que les sujets puissent être sensiblement les mêmes, chaque auteur n’en finit pas de donner sa solution à la fois de son aventure personnelle mais aussi des êtres et des choses qui l’ont touché. Et, évidemment, il y a des possibilités infinies de constructions et d’associations sensibles. Dans ce recueil, mes nouvelles préférées sont » l’homme hilare » et » Juste avant la guerre avec les esquimaux « .
Aujourd’hui j’apprécie beaucoup la vitalité de tous ces écrivains (dont je fais parfois partie) qui n’arrêtent pas de communiquer sur leur oeuvre en devenir, de s’apprécier les uns les autres, et de se retweeter à tout va. Mais, parfois, je me demande : Est-ce que Salinger aurait envoyé un seul tweet de sa vie ?
Peut-être qu’il aurait passé son temps à retweeter des mantras. Qui sait ?
Richard Brautigan, » La pêche à la truite en Amérique »
l’une de mes idées en écrivant mon » histoire de France racontée aux extra-terrestres » était de faire une sorte de pêche à la truite en Amérique. Mais pas grand monde n’a saisi ça et je dois dire que cette idée a fait plutôt un flop (ici le bruit d’une truite qu’un pêcheur rejette à l’eau dans les règles de l’art). Sans connaître le succès culte du bouquin de Brautigan, mon roman se porte quand même pas mal ! C.’est la version française de ce que j’aime chez Brautigan : un absurde compréhensible par tous, une tendresse vivifiante, une nostalgie qui vous glisse des mains comme une truite argentée. Et puis l’amour qui apparaît dans mon roman parfois, comme sur les autoroutes de France ces pancartes qui indiquent des châteaux que l’on ne voit jamais.
Bill Watterson, » The complete Calvin & Hobbes »
Si j’avais su un tant soit peu dessiner, j’aurais adoré être Bill Watterson. En même temps cette information est toute relative car si j’avais été gaucher et su un tant soit peu me débrouiller autrement que plaquer quatre accords sur une guitare j’aurais adoré être Paul McCartney.
J.’ai renoncé à être Paul McCartney le jour où après avoir passé trois semaines à assimiler la partition de » Yesterday » : un accord par mot et un accord qui vous cisaille les doigts toutes les phrases, j’ai compris que de toute façon les filles qui m’intéressaient (à l’époque) préféraient Kurt Cobain.
Pour revenir à Bill Watterson, chaque fois que je lis une planche de Calvin et Hobbes, je suis tourneboulé d’admiration devant tant d’intelligence et de finesse. Une histoire que j’adore : Calvin et Hobbes sont sur une luge en haut d’une pente enneigée, et Calvin est en train de faire tout un laîus sur le fait que vivre c’est ressentir de grandes émotions vivifiantes, affronter le danger en face, braver la vitesse »Tout d’un coup, Hobbes dit que pour lui vivre c’est être au coin du feu et boire un bon chocolat chaud. S.’en suit une vignette sans parole où l’on voit Calvin réfléchir à ce qui vient d’être dit. Et bien sûr, dans la vignette suivante, la finale, on voit Calvin et Hobbes au coin du feu se régaler d’un bon chocolat. Tout cela est très nabokovien au fond. Calvin et Hobbes c’est la nostalgie vivifiante du paradis perdu de l’enfance. I need more, comme dirait Iggy Pop.
Plus+
Jérôme Attal : Romans
- L’Amoureux en lambeaux (février 2007) aux éditions Scali (2ème édition en mars 2011 en format poche)
- Le garçon qui dessinait des soleils noirs (octobre 2008) chez Stéphane Million
- Pagaille monstre (février 2010 chez Stéphane Million éditeur, (version augmentée février 2013) chez Pocket.
- Folie furieuse (octobre 2010), chez Stéphane Million éditeur, (version augmentée septembre 2013 ) chez Pocket.
- L’histoire de France racontée aux extra-terrestres (mars 2012), chez Stéphane Million éditeur, (version augmentée mars 2014) chez Pocket
- Le Voyage près de chez moi (février 2013) chez Stéphane Million éditeur
- Presque la mer ( prévu le 7 mai 2014)
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