La rentrée littéraire 2017 d’Éric Chevillard

L’auteur et critique littéraire Éric Chevillard nous offre deux nouveaux livres en janvier. Des étrennes pour la bonne année ? Lui qui n’est pourtant pas du genre à faire de cadeaux à ses lecteurs !


© Patrice Normand / Leemage

Deux salles, deux ambiances. Mais un seul DJ ! C’est Éric Chevillard aux platines. Dans la salle de droite, L’Autofictif à l’assaut des cartels. Surprenant à plusieurs égards. D’abord parce que ce neuvième opus du journal de bord de l’auteur est moins réactionnaire qu’à son habitude. On serait presque déçu mais, fort heureusement, la plume acerbe d’Éric Chevillard fait toujours autant d’effet.

“Il est risqué de se mirer dans les vitrines des devantures. Celle du magasin d’antiquités te rajeunit ; mais dans celle de la boutique de nouveautés, tu ressembles à un spectre.” Le coquin s’amuse de lui. Pour la première fois, il sort de sa zone de confort à travers un voyage inopiné au Mexique. Cet Autofictif de l’année est bourré d’autodérision et on aime bien quand le cynisme de Chevillard est tourné vers lui. C’est là qu’il est le plus drôle. Ce qui ne l’empêche pas d’être sérieux quand il le faut. Les actes terroristes se suivent et se ressemblent. Dans son précédent carnet de bord, il glissait l’épisode Charlie Hebdo. Quelques mois seulement après, la France est de nouveau frappée, un certain vendredi 13. La barbarie s’inscrit de force dans la création littéraire des auteurs. « Il semblerait donc que les croyants n’aient jamais très bien su lire leurs livres sacrés tout imprégnés en vérité et même ruisselants, nous dit-on, du plus parfait amour. Heureusement toutefois que nos billets doux sont moins nébuleux. »

Dans la salle de gauche, Ronce-Rose ou l’histoire d’une petite fille partie sur les traces de son paternel qui n’est pas rentré à la maison. Aurait-il déserté le domicile conjugal ? Mais qu’est parti faire Mâchefer en laissant seule à la maison la petite Ronce-Rose ? Mais ne croyez pas que l’histoire se contentera de ce pitch bien trop facile à résumer. Chevillard aime tordre le cou aux premières impressions et perdre son lecteur dans son labyrinthe littéraire. Ici encore, c’est plein de fantaisie. C’est burlesque, poétique et peuplé de personnages atypiques comme le voisin unijambiste. L’univers de ce roman fait penser aux chansons de Thomas Fersen. Avec des protagonistes aux patronymes fleuris. Et une lecture à double voire triple sens. Ronce-Rose est-elle vraiment une petite fille ? Ne serait-ce pas une veuve joyeuse échappée de son asile ? Mâchefer travaille-t-il vraiment dans les farces et attrapes ? Son pistolet est-il à eau ? Pas si sûr… On tergiverse. Et on décide que ce n’est pas très grave de ne pas vraiment savoir. Le tout est de se laisser embarquer dans le joyeux bordel – teinté de mélancolie – que nous donne à lire Éric Chevillard. Il signe ici son plus beau roman, fou et sensible.

Ronce-Rose, du roman éponyme, et les deux fillettes de l’auteur Suzie et Agathe, protagonistes que l’on a vu grandir au fil des « Autofictif », ont bien des points communs. Le cynique Chevillard fait parler les enfants comme personne. Soulignant leur innocence qui vise souvent le bon sens. “Suzie (qui me trouve rajeuni après rasage de ma barbe) : – Du coup, tu vas jamais mourir si tu te rases tout le temps !“

Et si nous retrouvions cette légèreté enfantine, certainement que nous aurions moins d’ulcères. La peur de vieillir s’envolerait après un rasage de barbe ou un trait d’eye-liner. Si seulement… Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Avec les livres d’Éric Chevillard, ce sont nos peurs qu’on apprivoise. Son cynisme et sa lucidité mettent nos maux à distance. Je propose qu’on enferme les mots de Chevillard dans une bouteille qu’on lancerait à la mer. Si sa parole clairvoyante pouvait arriver à l’autre bout du monde, sur d’autres continents, changer les idées nauséabondes de certains, ça serait chouette. Quoi ? Douce utopie ? Oh ça va, on peut rêver ! Bande de rabat-joie !

Delphine Blanchard

L’Autofictif à l’assaut des cartels
Éric Chevillard
Éditions de L’Arbre vengeur
224 pages, 15 €
Date de parution : 19 janvier 2017

Ronce-Rose
Éric Chevillard
Éditions de Minuit
144 pages, 13,80 €
Date de parution : 12 janvier 2017