Christian Quermalet analyse le nouvel album de The Married Monk

10 ans que The Married Monk avaient disparu de la circulation, autant dire une éternité. Christian Quermalet, Jean-Michel Pirès et Tom Rocton reviennent avec Headgearalienpoo, disque tortueux mais passionnant. Explications de texte avec son auteur.


Photo © Elie Jorand

01 – Obnoxious One :

Ce morceau, je crois bien que c’est un des premiers que j’ai trouvés. Il a à peu près 4 ou 5 ans. Il y a une espèce de motif que j’ai fait sur un Moog qui sonne un peu electro, je ne savais pas qu’ en faire, j’ai collé dessus un rythme et les deux patterns ne fonctionnent absolument pas ensemble. Elles ne sont pas sur la même cadence, ça perturbe un petit peu. J’avais laissé ça comme ça à reposer. J’avais fait ça quand j’habitais Lyon et un soir je rentre d’une fête assez musclée, dirons-nous. Il devait 3 ou 4 heures du matin, j’avais tout laissé brancher chez moi, les claviers.

Dans le morceau, tu as une espèce de solo un peu énervé. J’ai fait une prise comme ça cette nuit-là avant d’aller me coucher et je l’ai gardé telle quelle parce que c’est vraiment le foutoir, j’ai essayé de la refaire en essayant de recaler tout ce qui était tournerie synthétique pile poil sur la boite à rythmes mais cela devenait très ennuyeux et convenu. Pleins de gens m’ont dit qu’il fallait laisser comme cela. C’est comme cela que cela fonctionne le mieux. Pour le texte, je me suis rappelé de ce film de Pavel Longuine, Taxi Blues. Il y a cette scène qui m’a marquée,à la fin, le saxophoniste est devenu célèbre et il revient voir le gars qui l’avait hébergé et qui est Taxi, il lui balance une espèce de poupée gonflable en se foutant de sa gueule et après ils s’en vont. Sans trop savoir pourquoi, j’ai basé ce morceau-là là-dessus.

02 – Gravity :

C’est aussi un vieux morceau mais pas du tout dans la version de l’album. On est arrivés en studio avec la première version, au bout d’un moment, on s’est rendu compte que cela ne fonctionnait pas. C’était pas le bon tempo ni le bon balancement. On était aller assez loin dans la première version et on a tout refait avec un traitement plus « électro-pop ». La première version était plus dans le registre de la ballade, beaucoup plus lent avec des guitares Folk. C’est là où je dis qu’on est vraiment un groupe car d’un coup on s’y est tous mis, chacun a apporté sa petite partie et on a tout refait en une après-midi.

03 – 10.16 Saturday Night :

Quand la chanson a été écrite, j’ai regardé pas mal de documentaires sur Youtube sur des Geeks américains un peu losers qui passaient des nuits entières en boite de nuit pour essayer de choper une nana. J’ai dû regarder une cinquantaine de documentaires comme ça car je voulais écrire une chanson là-dessus et j’ai eu 10.15 Saturday Night qui m’est arrivé dans la tête. Au départ cela devait s’appeler Diskotek, écrit à la grecque. J’avais peur de me faire attaquer par le service juridique des Cure. Ça a le mérite de faire parler les gens (Rires).

04 – Bus :

Avec Stephen Tunney (Dogbowl), on se connait depuis longtemps. Il a habité longtemps à Paris, sa femme était enseignante à la Fac de New York mais assurait aussi des cours à Paris. On a même monté ce qu’il appelait un super groupe, il y avait Michel Cloup à la guitare, Eric Deleporte de Perio à la basse et moi, j’étais à la batterie. On a fait le fameux concert au Gibus en 1994, c’était vraiment une super expérience. Concernant ce morceau, Bus, c’est un titre auquel je reviens souvent, un titre qu’il a fait chez lui dans le home studio dans son appartement. J’entendais des harmonies de voix sur ce titre et je chantais par-dessus comme ça. J’ai voulu le transcrire sur un truc plus classique avec des cordes, du trombone. Je voulais savoir ce que cela donnait et finalement je lui ai envoyé le titre avec une maquette avec toutes les directions que l’on souhaitait prendre et il nous a dit « Allez-y c’est super ». Cela a validé notre envie et on a approfondi le truc. On a remplacé les cordes synthétiques par des vraies. En plus, il est veuf depuis peu, je lui ai envoyé le disque et il m’a dit que cela l’aidait à remonter la pente.

05 – Love Commander strikes again :

J’aimais bien, sans comparaison aucune, quand Bowie ou les Beatles s’autocitaient d’un album à un autre comme le Major Tom de Ziggy. C’est une manière de se replonger dans son histoire, de se regarder en face. On ne passe pas notre temps à réécouter nos propres morceaux. C’est un petit rappel de notre passé. Je suis assez fier de ce que l’on a fait avec The Married Monk. Par contre, si on te dit que le disque que tu vas sortir est moins bon que celui que tu as sorti il y a 5 ans c’est un peu emmerdant. On nous a dit que c’était notre meilleur disque. On n’a pas le recul et ce n’est pas notre rôle. Tout le monde nous dit que notre chef d’œuvre c’est The Jim Side, sa production vieillit bien. Il pourrait avoir été enregistre en 1982, 1952 ou 2002. Je n’ai pas voulu que le premier album soit réédité car quand tu écoutes le disque, on a l’impression que je n’ai pas mué. Sur ce disque, je chantais pour la première fois de ma vie. Un coup d’essai, j’avais travaillé dessus quand j’étais à Londres. Je me suis retrouvé avec une dizaine de chansons dans mon appartement de Brixton, je ne savais pas trop qu’en faire. Etant Français en Angleterre, j’étais hyper mal-vu, on ne m’a fait aucune proposition là-bas. A part les Négresses Vertes et Magma, ils ne connaissaient pas grand-chose à la musique française. J’ai fait ce disque-là en totale inconscience. Je me suis fait défoncer par les Inrocks, le critique me conseillait d’arrêter de chanter. Sur le second avec Jim Waters, on a eu le vrai producteur anglophone qui sait diriger et proposer et cela a été salvateur pour moi.

06 – Mitte 1989 :

Mitte, c’est un quartier de Berlin. Je rêvais d’écrire cette chanson depuis très longtemps, elle est née d’un contexte autobiographique. J’ai passé deux fois 4 mois à Berlin en 1988 et 1989 à Berlin Ouest. Le mur est tombé en novembre 1989, la première fois où je suis venu à Berlin c’était en juillet. J’ai connu le mur de Berlin et ses quartiers d’artistes. Mitte était de l’autre côté, à l’est. Tu pouvais passer 24 heures dans Berlin Est, c’était hyper surveillé, tu passais par Check Point Charlie, le poste-frontière. Cela dit, il n’y avait rien à faire à Berlin Est. Tout était hyper surveillé par la STASI, il n’y avait pas de magasin de disques à Berlin Est, impossible de trouver un disque des House of Love en 1989 à Berlin Est. Tout était complètement verrouillé par le système. J’ai donc passé une journée à Mitte et j’ai rencontré deux personnes qui me disaient qu’ils pensaient que cela allait bientôt éclater et quelques mois après le mur s’ouvrait. Je voulais rester à Berlin pour couvrir les événements en photo mais malheureusement je changeais d’école des beaux-arts et de ville, c’est un de mes grands regrets. Ce titre parle de la chute du rideau de fer.

07 – Bomb on Blonde :

Bien sûr, on pense à Dylan. Je n’ai pas l’habitude de faire des protest songs, j’ai fait cette chanson au moment des présidentielles. C’est un portrait d’une dame sans la nommer, un portrait au vitriol. J’ai eu une sorte de coup de sang, de coup d’urgence sur ce titre. L’engagement, je ne saurai pas le faire bien comme un mec comme Billy Bragg par exemple. Se frotter à des titres très politiques, cela peut vite virer prétentieux et je trouve cela un peu vain.

08 – Siamese Twins :

Pour moi, c’est l’équivalent de l’ascension de l’Everest en tongues. J’ai tout de suite pensé piano, basse et batterie, un peu Jazz. Le matin de l’enregistrement, on ne l’avait jamais joué ensemble, on a chopé la grille et on la fait en une prise, une seule. J’étais au piano, Tom à la basse et Jean-Michel à la batterie. J’avais entouré le piano de paravents en plexiglas, on se voyait quand même, on se faisait des signes de tête pour les changements d’accords. J’ai fait une prise voix derrière et c’était fini. C’est hyper fragile, presque sur le fil. On préférait cela à quelque chose de trop maîtrisé, Tom a ensuite rajouté ses guitares Freeze et ses spaces echos. Dans la version originale, il n’y a pas d’air. Tout est très frontal.On a voulu une disposition autre avec plus de profondeur de champ. Tout Pornography est assez malsain et enfermé comme si tu étais au fond d’un placard. Le contre-pied était, à mon sens, obligatoire. J’avais d’ailleurs envoyé le titre à Ivio Cold d’Addict Culture qui connaît très bien le travail des Cure, il avait bien accroché à cette version. J’adore The Top, un super album.Beaucoup ne jurent que par la trilogie, j’adore les chansons de The Top, je le trouve à part dans leur discographie avec Japanese Whispers. On sentait bien qu’ils se cherchaient. Après Pornography, ils sont passés pas loin de la catastrophe, je trouve chouette qu’ils aient rebondis comme cela avec des titres aussi ouvertement Pop que Let’s go to bed et The Love Cats.

Les Cure, ils ont été beaucoup repris, pas toujours bien d’ailleurs. J’aime bien la reprise des Dinosaur Junior, on aurait pu croire que Just Like Heaven était un de leurs morceaux avec ce solo tout pourri de Jay Mascis.

09 – The Obnoxious Two :

Pour moi, cela représente cette scène électro un peu arrogante qui a un véritable cynisme et une prétention sans fin. Une musique plutôt vaine de morveux, cette chapelle électro à vomir se croyant dans le haut du panier. Pour ces gens-là, la musique fonctionne par castes et on ne se mélange pas. L’inverse de toute forme de générosité.

Headgearalienpoo est un disque absolument passionnant, aventureux qui ressemble en bien des points à une forme de renaissance pour The Married Monk

Propos recueillis par Greg Bod

The Married Monk – Headgearalienpoo
Sortie le 25 mai chez Ici D’Ailleurs