[Interview] Robert Forster : « 20 ou 30 chansons que personne d’autre que moi n’aurait pu écrire »

Le nouvel album de Robert Forster, ex-co-leader du groupe australien mythique The Go-Betweens, s’appelle Inferno et vient juste de sortir. Robert a donc pris son bâton de pèlerin pour visiter les capitales européennes. Une occasion rare pour BENZINE de rencontrer cette figure tutélaire du Rock des Antipodes !

Credit photo : Bleddyn Butcher

Benzine : Vous avez commencé à jouer de la musique en 1977, je crois…

Robert : 1978 !

Benzine : … 1978 ! Et 40 ans plus tard, qu’est-ce qui vous permet de continuer avec autant d’énergie et de passion ?

Robert : Eh bien, je suis en bonne santé, j’adore faire de la musique, même si je fais pas mal d’autres choses aussi : j’ai écrit un livre il y a quelques années, je travaille sur une autre histoire en ce moment. C’est ma manière de m’exprimer. C’est ce que je fais, c’est tout…

Benzine : Il y a des gens qui pensent que le Rock, c’est pour les jeunes…

Robert : Je ne crois pas que le Rock soit pour les jeunes, et en fait je ne le pensais pas quand j’étais jeune moi-même. Je savais que je pouvais espérer en jouer tout au long de ma vie. Non, je n’ai jamais imaginé que je devais tout dire avant d’arriver à 25 ans !

Benzine : Donc, ça n’a jamais été : « I hope I die before I get old » ?

Robert : Nooon… Pete Townshend doit avoir 75 ans maintenant, non ? Et il joue encore ! Non, je ne me rappelle plus, mais c’est vrai que j’ai quand même pensé que je n’arriverais plus à écrire de nouvelles chansons après 40, 45 ans… Je ne suis pas un très bon guitariste, donc je me disais que je n’aurais plus rien à inventer au bout d’un moment… Mais les chansons continuent à apparaître… Et ça c’est un mystère que je peux écrire encore de nouvelles chansons à 61 ans… Ceci dit, c’est dur, c’est un vrai boulot. Mais j’aime travailler, je veux continuer à composer des chansons.

Benzine : 4 ans entre Inferno et votre album précédent, Songs to Play, c’est long, très long pour nous, les fans ! Qu’est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?

Robert : Eh bien j’ai donc écrit ce bouquin, « Grant & I » [NDLR : Il s’agit évidemment de Grant McLennan, le partenaire de Robert au sein des Go-Betweens, décédé en 2006]. Et puis je fais mes courses, je vais voir ma mère… Ma femme et moi, nous avons deux enfants qui vont encore à l’école, donc il y a l’école dans nos vies. Et puis je cuisine. Je fais la lessive. Je fais tous ces trucs tout-à-fait normaux. Tous ces trucs qui sont la Réalité. Je veux dire que je ne descends pas au Ritz-Carlton, que je ne passe pas d’une tournée internationale à une autre, en me demandant : « Mais, où est-ce que je suis ? Qu’est-ce qui se passe ? ». Je n’ai pas une vie de célébrité du show business. Et j’ai de la chance de vivre une vie normale !

« Les Go-Betweens n’ont jamais été vraiment populaires. Streets of your Town n’a pas été un hit… »

Benzine : L’autre soir, au cours de son dernier concert à Paris, Courtney Barnett a joué « Streets of your Town »…

Robert : Vraiment ? Elle a beaucoup de talent, je l’aime beaucoup. Je suis très content qu’elle fasse ça…

Benzine : … et deux choses me sont venues à l’esprit : d’abord que l’Australie reconnaît aujourd’hui l’importance des Go-Betweens…

Robert : Oui, doucement, c’est en train d’arriver. Ça a commencé il y seulement quelques années. Il y a eu un film, un documentaire, qui a contribué à ça en Australie aussi…

Benzine : … mais ensuite que les jeunes dans la salle ne savaient absolument rien de cette chanson !

Robert : Les Go-Betweens n’ont jamais été vraiment populaires. Streets of your Town n’a pas été un hit. Peut-être que si elle jouait la chanson à Londres, les spectateurs auraient été plus nombreux à la reconnaître ? A Berlin, oui, il y aurait eu plus de reconnaissance. En France, mon profil n’a jamais été très visible, c’est probablement le pays qui a toujours été le plus dur pour moi. Je crois que même à Madrid ou à Stockholm, il y aurait plus de gens qui connaissent la chanson… mais jamais tous les spectateurs : si vous jouez une chanson qui est sortie il y a 30 ans mais n’a jamais été un hit, c’est comme ça…

Benzine : Nous chroniquions récemment à Benzine le second album de Goon Sax, le groupe de votre fils, et j’ai cru retrouver dans sa musique certains échos des Go-Betweens…

Robert : Alors, des échos lointains, parce qu’ils sont Australiens, et parce qu’ils font le même genre musique d’auteurs compositeurs… Bon, je suis d’accord avec vous, mais je crois que leur musique va changer beaucoup dans les années qui viennent, ils n’ont que 20 ans, ils vont explorer de nouvelles directions. Il y a aussi des échos d’autres musiques, car mon fils écoutait aussi les Talking Heads, Television, tout ce genre de groupes…

« Je ne contrôle rien ! C’est le temps qui fait son œuvre… »

Benzine : Votre nouvel album s’appelle donc Inferno, en référence aux températures de l’été à Brisbane. C’est un titre passablement fort quand même ! Y a-t-il autre chose derrière ?

Robert : Non, Non, j’ai écrit la chanson en pleine nuit, alors qu’il faisait plus de 30 degrés, et que ça durait depuis des jours. Cette chaleur rendait tout le monde fou, et c’est un peu l’ambiance de l’album, c’est en relation avec la chaleur, le climat. C’est quelque chose d’extrêmement puissant, qui change la manière dont vous vous comportez, mais aussi la manière dont vous pensez… « Inferno » ce n’est pas une référence à un « mauvais » enfer, ce n’est pas une réflexion globale, ce n’est pas vraiment un commentaire global sur quoi que ce soit…

Benzine : Est-ce que cet album traduit une évolution dans la manière dont vous composez et jouez ?

Robert : Je l’espère… Je crois que oui, mais je ne contrôle rien. C’est le temps qui fait son œuvre, et les choses que j’aurais pu faire ou aimer il y a 10 ans ne m’intéressent plus autant… J’ai déjà fait ce genre de choses, j’ai déjà écrit des chansons comme ça, alors je n’ai pas besoin de le refaire. Le temps vous force à changer, vous ne voulez pas vous répéter. Mais vous savez que vous n’allez pas non plus vous réinventer complètement, passer à un genre de musique complètement différent : ça ne serait pas convaincant, ça sonnerait de manière trop artificielle. Mais d’une manière naturelle, seulement à travers le passage du temps, l’expérience, le fait de lire de nouveaux livres, de regarder des films différents, d’essayer de jouer de la guitare un peu différemment aussi, il y a des choses nouvelles qui apparaissent… Et vous avez une nouvelle chanson…

Benzine : Et que pensez-vous de l’évolution de la manière d’écouter de la musique, d’acheter (ou pas) de la musique de nos jours… au moins en Europe… ?

Robert : C’est pareil en Australie, et je comprends de moins en moins. En fait, je ne comprends presque plus rien ! En fait, j’essaie de ne pas y penser… J’aimerais bien que les vinyles soient toujours la norme. Un exemple : j’aimais bien la manière dont on concevait les voitures dans les années 80, la technologie était suffisante, on n’avait pas besoin de plus… Mais l’esprit humain est comme ça, et le commerce, et le business, les choses continuent à avancer… Bien sûr, ça m’inquiète aussi parce que cela devient de plus en plus dur de gagner sa vie, beaucoup plus difficile… Mais bon, si je pense trop à ces choses-là, ça me déprime ! (rire)… Alors je continue à écrire mes chansons, et c’est tout. Il me suffit finalement d’un micro, de brancher ma guitare, je joue tout seul ou avec d’autres musiciens, et ça, ça ne change pas…

J’ai entre 20 et 30 chansons que je peux jouer et qui sont vraiment bonnes. Des chansons que personne d’autre que moi n’aurait pu écrire. C’est tout ce que j’ai. Et si tout s’arrêtait aujourd’hui, je pourrais jouer ces chansons tout le reste de ma vie, et je serais content.

Jouer en public est la seule manière de gagner de l’argent de nos jours. Il y a tous ces festivals à travers le monde, les groupes sont en permanence en train de tourner… Et c’est finalement une bonne chose, même si c’est fatigant, parce que c’est la seule chose qu’on ne peut pas nous enlever, l‘expérience humaine. Oui, j’espère que ça ne changera pas, c’est trop important…

Benzine : Eh bien, justement, quand est-ce que vous avez prévu de venir nous faire un concert à Paris ?

Il sort fièrement une feuille de papier qu’il nous montre : « le 28 novembre à la Boule Noire »

Benzine : On y sera !

Robert : Venez ! Et amenez vos amis, amenez votre famille, amenez tous les gens que vous connaissez ! Essayez d’amener avec vous 40 personnes : si vous pouviez faire ça, ce serait formidable ! (rires)

J’aimerais jouer plus souvent en France. Cette fois, je vais jouer avec ma femme, elle était déjà avec moi sur la tournée précédente, elle joue du violon et elle chante, c’est fantastique !

Donc je viens jouer à Paris, et j’espère que quelqu’un va me dire : « Hey ! Venez jouer à Toulouse, à Lyon, à… (il hésite…) Strasbourg ! Ou, mieux, venez sur la Côte d’Azur, à St Tropez ! ». Je n’ai besoin que de 40 personnes dans la salle !

Propos recueillis par Eric Debarnot

Robert Forster – Inferno
Sortie le 8 mars 2019