L’homme qui a surpris tout le monde : un conte folklorique dans la Sibérie d’aujourd’hui

Un homme trouve un moyen original pour échapper à la mort. Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov mêlent naturalisme et folklore dans un conte au message politique.

L'HOMME QUI A SURPRIS TOUT LE MONDE

Le début du film est bâti sur une suite de contre-pieds et de petites surprises qui méritent que l’on s’y attarde : la première image est celle d’un couple immobile en gros plan, l’on pourrait croire à une scène de sexe, mais il s’agit seulement d’un homme qui réchauffe les oreilles froides de sa femme. Une scène d’intimité suivie par un extérieur qui replace le personnage principal dans son univers. Egor est un garde-forestier et le caractère calme et bucolique de cette balade dans la Taïga est brusquement interrompue par la rencontre avec des braconniers et le meurtre de ces deux hommes ; moment de violence brute qui vient ici s’immiscer dans la tranquillité et signe avant-coureur de la suite à venir. La séquence suivante, se déroule à l’hôpital mais Egor n’y est pas suite à sa lutte avec un braconnier mais parce qu’il est malade, gravement malade, condamné même à brève échéance.

L'homme qui a surpris tout le monde afficheMine de rien, Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov aiment surprendre ; comme le héros de cette histoire (avec ce titre qui annonce la couleur). Et la surprise va être de taille…
Sans tout dévoiler (ce qui n’est pas facile), L’homme qui a surpris tout le monde est un film étonnant car il mélange deux éléments rarement associés entre eux : le naturalisme et le conte.

Après avoir posé leur caméra dans le Moscou de la classe moyenne dans Intimate Parts, la paire de cinéastes montre ici sans fard une Russie rurale des déclassés ; un pays en voie de paupérisation qui ressemble à une terre pour laissés pour compte, vivant dans le dénuement et un espace déglingué (à l’opposé de la beauté de la nature qui l’entoure).  Infrastructures absentes, accès aux soins réservés à des privilégiés, derrière son naturalisme, L’homme qui a surpris tout le monde a aussi une portée politique.
Mais, derrière le réalisme moderne, le folklore d’une Russie traditionnelle émerge, transcendant le récit et l’amenant vers le conte fantastique. Le folklore commence par du décorum, une cartomancienne sorte de sorcière de la Taïga qui essaye de sauver Egor de sa maladie, puis, par la présence étrange d’une vieille femme perdue dans la Taïga. Enfin, par la révélation d’une légende sibérienne qui dit que l’on peut tromper la mort, à l’heure où elle viendra vous chercher, en se déguisant. Ce que va faire Egor.

Le film se plait  ainsi à désarçonner, d’autant plus que, face à sa femme à fleur de peau, son mari reste impassible et muet, y compris face à la violence qui se déchainer contre lui, sorte de rituel sacrificiel qu’il s’inflige, on peut le supposer mais sans certitude aucune. Le changement d’habit que va opérer Egor va l’isoler de tous et le mettre au ban de la société et même de sa famille. L’autre aspect politique du film émerge ici ; sans réduire la communauté du village à des brutes (tous étaient prêt à aider financièrement Egor), Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov pointe du doigt l’homophobie fruste de la société russe (ce qui n’est pas innocent dans un pays où les droits LGBT sont inexistants). Les cinéastes filment le basculement qui passe de l’empathie, à la sidération, à la mise à l’écart et enfin à la violence vers ce qui est considéré comme anormal. A la fin du tunnel, il y aura la lumière mais que le chemin pour y parvenir a été compliqué.

Denis Zorgniotti

L’homme qui a surpris tout le monde
Drame russe de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov
avec Evgueni Tsiganov, Natalia Koudriachova
Durée : 1h45
Date de sortie : 20 mars 2019

 

L'Homme qui a surpris tout le monde : Photo Evgeniy Tsyganov
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