[Live Report] Foals clôt brillamment un beau dimanche à Rock en Seine

Après une après-midi riche en musiques diverses et variées, Foals a prouvé en une heure littéralement enragée, qu’il était toujours l’une des plus formidables expériences scéniques qui soient en 2019.

Ce dimanche après-midi, alors qu’une nouvelle vague de chaleur s’est abattue sur Paris, c’est aux Français de Cannibale qu’on a demandé de relever le défi d’animer la Grande Scène en tout début d’après-midi, à 14h30 : le seul public massé devant la scène est constitué de fans de Two Door Cinema Club qui veulent être assurés d’une place au premier rang, et les trente degrés sont allègrement dépassés. Heureusement, les quadras de Cannibale ont de la bouteille, et aussi du talent, et ils vont batailler ferme pendant trois quarts d’heure. Leur musique ? Eh bien disons, que, un peu dans la lignée de Fat White Family, voici une musique dansante, basée sur des grooves efficaces, qui va néanmoins chercher des ambiances lyriques, cinématographiques, presque, un peu partout autour du monde. Des Antilles aux Balkans, en passant par l’Afrique, il y a de quoi nourrir ces titres enthousiastes, portés par un leader qui ne ménage pas sa peine et impressionne même parfois par sa conviction. Malheureusement, la mission est quasi impossible, et Cannibale peinera à éveiller plus que de la sympathie et quelques trémoussements de postérieurs. On a envie de les revoir dans des circonstances un peu plus favorables.

16h00 : Two Door Cinema Club. on s’était quittés un peu fâchés après leur passage très moyen au Casino de Paris en février 2017, mais l’énergie et la créativité de leur dernier album, False Alarm, au son synthétique très eighties, nous avait redonné espoir. Eh bien, on avait raison d’y croire, car nos Irlandais pop nous ont offert l’un de leurs meilleurs concerts depuis longtemps. La scène est décorée façon high tech. Alex Trimble se pointe, malgré la chaleur, en polo à col roulé et en costard en polyester, comme dans les vidéos tongue-in-cheek, mi-ringardes, mi-futuristes, qui ont accompagné l’album.
On ne peut s’empêcher de remarquer que les cheveux rasés lui vont beaucoup mieux que sa longue chevelure ringarde des années précédentes ! Sam et Kevin, ses deux acolytes, sont eux beaucoup plus relax, et avec l’aide des deux musiciens additionnels (batterie et claviers) rituels, lancent la machine avec Talk, qui a quand même plus une allure de morceau d’échauffement. Et en effet, on passe aux choses sérieuses avec un flashback forcement bienvenu : Undercover Martyn et I Can Talk ont tout d’une belle claque. Two Door Cinema Club balance ses classiques avec une élégance et une énergie qui nous avaient manqué lors de leurs précédents passages. Alex chante divinement, comme toujours, mais il a désormais une vraie aisance qui tranche avec sa timidité passée. Sur scène, tout le monde semble détendu, et on sait que ce genre de pop musique joyeuse, ça passe mieux dans une bonne ambiance. Dirty Air, sommet de False Alarm, confirme la force de son refrain enthousiasmant, et se passe très bien de l’intermède rappé de l’album. Même la soul plastique à la sous-Michael Jackson de Bad Decisions passe comme une lettre à la poste. Satellite évoque toujours furieusement la classe de Heaven 17 et permet à Alex de changer de registre vocal. Something Can Work nous rappelle combien Tourist History a été un bel album, mais c’est le magnifique final sur Sun, à proprement parler lumineux – sans mauvais jeu de mot – qui met tout le monde d’accord : Two Door Cinema Club est à nouveau un groupe qui compte, dans le club assez fermé des gens qui savent encore composer et jouer de la bonne pop musique comme on faisait au siècle dernier de l’autre côté de la Manche.

 

17h50 : l’un des groupes les plus attendus du Festival, The Murder Capital, est confiné à la toute petite scène Firestone, mais est accueilli par un public très enthousiaste et motivé. Il faut dire que le buzz a été intense ces derniers mois à Paris, et que l’on attend de la part de ces Dublinois ni plus ni moins qu’ils soient les nouveaux Joy Division ! Un copain nous prévient, d’un air ravi : « On va enfin voir un VRAI concert… ». Le quintette est en effet séduisant, sapé façon prolos irlandais endimanchés, la clope au bec, et arborant les poses punks rituelles pleine de morgue joueuse. Le son des deux guitares décape bien les oreilles, et la basse, tenue par un Gabriel Paschal Blake qui s’avère un showman hors pair et qui est capable de mettre le feu au public en un clin d’œil, est renversante. Il n’y a guère que la voix de James McGovern qui n’est pas, au moins en live, tout-à-fait au niveau. Le set démarre de manière très impressionnante : ces jeunes types ont le style, mais aussi la rage qu’il faut pour ce genre de musique. Oui, on est impressionnés… Malheureusement, on se rend compte peu à peu que les chansons ne sont pas au rendez-vous : tout cela flotte beaucoup dans une sorte de no man’s land indécis, sauvé parfois par des accélérations ou des pics d’intensité, mais on a du mal à voir où ces jeunes gens veulent en venir. Après un Slow Dance interminable, malgré une conclusion électrique, la déception pointe son nez. Le set finira par deux brûlots, qui permettent au moshpit de s’embraser. James rejoint les danseurs, et tout le monde est bien content… Sauf que, quand même, voilà de la musique qui n’est pas au niveau des promesses de ce jeune groupe énergique. Peut-être bien un buzz qui ne durera pas, donc, construit qu’il a été sur des sets intenses, mais manquant de substance.

18h50 : On a traîné un peu pour récupérer la setlist de The Murder Capital, du coup on manque les dix premières minutes du concert de Deerhunter. Dommage, même si trouver une place à la barrière n’est pas trop difficile devant la Scène de la Cascade : Bradford Cox est très impressionnant avec un look féminin désormais totalement assumé : rouge à lèvres, ongles peints, bijoux, chemisier, pantalon et mocassins « pour femme », Bradford semble superbement à l’aise avec son image transgenre, et paraît même moins handicapé par sa maladie. Il chante formidablement bien, alternant numéros de charme souriants, et furie rock’n’roll. Si le dernier album, Why Hasn’t Everything Already Disappeared?, nous avait plu mais un peu inquiété avec son insistance sur les claviers, Deerhunter continue sur scène à être un groupe avec des guitares qui font du bruit, et c’est très bien comme ça. Les nouvelles chansons sont clairement plus structurées, plus listener-friendly, que les anciennes (on sait que Bradley rêve d’un succès à la R.E.M. pour son groupe…), mais on voit bien que, au-delà des fans qui sont aux anges, le « grand public » ne suit pas forcément : pas mal de spectateurs quittent la fosse au fur et à mesure que le concert progresse. C’est peut-être logique, vu la singularité du groupe et de son leader, mais c’est dommage. Bradford Cox a pourtant construit une setlist qui fait la part belle à Halcyon Digest, l’album de Deerhunter qui s’est le mieux vendu en France, mais son concert sépare clairement les fans des autres… Cinq minutes avant l’horaire prévu, Bradford jette l’éponge (en fait, il laisse tomber son micro !) après un beau final bruitiste comme on aime. Il nous laisse tous, nous qui l’aimons, un peu orphelins. Espérons qu’on le reverra bientôt.

21h00 : On a patienté une bonne heure et demie devant la Scène de la Cascade pour être sûrs d’être idéalement placés à la barrière pour profiter de Foals qui, n’en déplaise à une frange de rockers qui refuse obstinément d’accrocher à sa musique aussi dansante qu’enragée, n’est pas loin de ce qui se fait de mieux scéniquement en 2019. C’est d’ailleurs un peu scandaleux d’avoir relégué un groupe aussi exceptionnel à la Cascade, mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur : nous sommes dans des conditions idéales pour profiter d’un set qui va s’avérer tout simplement l’un des meilleurs que nous aurons jamais vus de ce groupe.

C’est bien simple, Foals a absolument tout : des chansons accrocheuses qui font remuer les jambes mais aussi cogiter, des musiciens brillants, un leader charismatique qui est une redoutable bête de scène. Et en plus, aujourd’hui, Foals a LA RAGE. Dès l’intro incroyable sur On the Luna, et jusqu’au final traditionnellement math rock de Two Steps, Twice, avec son basculement final dans une hystérie irrépressible, Foals a volé ce soir à des hauteurs stratosphériques, bien au-dessus de tout ce qu’on peut entendre actuellement dans le Rock. Souvenons-nous que nous avons chanté en chœur de joie sur My Number, que le seul morceau qui nous a permis de reprendre un peu notre souffle (un « breather » a dit Yannis) a été le crescendo sublime de Spanish Sahara, et que la nouvelle chanson, Black Bull, extraite du nouvel album à venir, nous a semblé encore plus enragée que le reste !

Bien sûr, Yannis Philippakis est limité dans ses acrobaties par la topographie d’un festival : pas possible de sauter du balcon, ni de passer son temps à surfer sur les bras tendus de ses fans. Il lui reste à venir régulièrement au contact du premier rang, et à nous haranguer pour que nous ne retombions pas en dehors de l’atmosphère de délire extatique qu’il a su créer dès les premières minutes. Oui, Yannis a clairement la rage, et son seul discours sera des plus clairs : « Fuck Brexit ! Fuck Brexit (oui, deux fois) ! Fuck Johnson, Fuck Trump, Fuck Bolsonaro, Fuck Putin ! ». Autour de nous, nous voyons surtout des jeunes, qui sont dans la folie complète et dans le plaisir total, et ça, c’est rassurant : même si l’on sait bien que la Musique ne change pas le monde – ou du moins pas aussi vite qu’on le voudrait -, exprimer une telle colère et un tel enthousiasme en dansant, c’est forcément quelque chose de positif. De révolutionnaire, même…

Il y avait beaucoup de monde devant la Scène de la Cascade, pour célébrer Foals, l’un des groupes les plus importants de notre génération. Mais il en faudrait encore beaucoup plus. Rock en Seine 2019 aura en tous cas permis la réalisation d’un second petit miracle, après les rires de Robert Smith vendredi soir, la colère homérique de Yannis Philippakis. Et ce ne sont pas là des petits plaisirs…

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil

La setlist du concert de Two Door Cinema Club :
Talk (False Alarm – 2019)
Undercover Martyn (Tourist History – 2010)
I Can Talk (Tourist History – 2010)
Are We Ready? (Wreck) (Game Show – 2016)
What You Know (Tourist History – 2010)
Changing of the Seasons (Changing of the Seasons EP – 2013)
Dirty Air (False Alarm – 2019)
Bad Decisions (Game Show – 2016)
Satellite (False Alarm – 2019)
Something Good Can Work (Tourist History – 2010)
Sun (Beacon – 2012)

Les musiciens de The Murder Capital sur scène :
James McGovern – vocals
Damien Tuit – guitars
Cathal Roper – guitars
Gabriel Paschal Blake – bass
Diarmuid Brennan – drums

La setlist du concert de The Murder Capital :
For Everything (When I Have Fears – 2019)
More Is Less (When I Have Fears – 2019)
Love, Love, Love (When I Have Fears – 2019)
Slow Dance I (When I Have Fears – 2019)
Slow Dance II (When I Have Fears – 2019)
On Twisted Ground (When I Have Fears – 2019)
Green & Blue (When I Have Fears – 2019)
Don’t Cling To Life (When I Have Fears – 2019)
Feeling Fades (When I Have Fears – 2019)

La setlist du concert de Deerhunter :
Death in Midsummer (Why Hasn’t Everything Already Disappeared? – 2019)
No One’s Sleeping (Why Hasn’t Everything Already Disappeared? – 2019)
Helicopter (Halcyon Digest – 2010)
Revival (Halcyon Digest – 2010)
Desire Lines (Halcyon Digest – 2010)
Take Care (Fading Frontier – 2015)
Futurism (Why Hasn’t Everything Already Disappeared? – 2019)
Plains (Why Hasn’t Everything Already Disappeared? – 2019)
Coronado (Halcyon Digest – 2010)
He Would Have Laughed (Halcyon Digest – 2010)

La setlist du concert de Foals :
On the Luna (Everything Not Saved Will Be Lost: Part 1 – 2019)
Mountain at My Gates (What Went Down – 2015)
Olympic Airways (Antidotes – 2008)
My Number (Holy Fire – 2013)
Providence (Holy Fire – 2013)
Spanish Sahara (Total Life Forever – 2010)
Exits (Everything Not Saved Will Be Lost: Part 1 – 2019)
Inhaler (Holy Fire – 2013)
Black Bull (new song)
What Went Down (What Went Down – 2015)
Two Steps, Twice (Antidotes – 2008)

One thought on “[Live Report] Foals clôt brillamment un beau dimanche à Rock en Seine

  1. Un grand merci pour cet article, qui dit mot pour mot ce que nous avons vécu ce dimanche 25 août (sauf entre Two doors et Foals, nous étions du côté de Sam Fender et de Boy Azooga, de très beaux moments également). Je suis de la génération des Cure et des Smiths, aussi mon fils de 14 ans a pris une grosse claque vendredi pour son premier festival, et moi en retour ce dimanche, puisqu’il m’aura initié à Two Doors et surtout à Foals. Quel pied…(surtout au 2ème puis au 4ème rang…).

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