Rémi Fay – Pleurésie : De l’art de modeler le silence

L’ambition créatrice n’est jamais un défaut quand elle sert l’humilité et le silence harmonieux d’une musique qui se dégage des contingences du quotidien, c’est un peu ce que semble dire le compositeur Rémi Fay avec Pleurésie, son second EP.

Crédit photo : Benoit Fay,

Ils sont bien peu en France à avoir tenté de suivre les chemins empruntés par Arvo Pärt, Philip Glass, David Sylvian ou Mark Hollis. On pourrait bien sûr citer le projet de Benoit Burello, Bed qui n’a pas fini 19 ans après la sortie de The Newton Plum de nous interroger et de laisser son mystère absolument intact. On avait découvert  en 2019 le travail de Rémi Fay avec son premier EP, le superbe If You Were Everything.

Avec Pleurésie, son second disque, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il explore d’autres territoires. Autant le premier EP évoquait un jeune Perry Blake, un Olafur Arnalds acoustique, les Bathers (le Something Precious injustement oublié des écossais en particulier), autant, Rémi Fay se rapproche ici d’un Philip Glass ou d’un François Couturier dans une approche volontairement minimale. Car, exception faîte de quelques monologues introductifs posés de sa seule voix, Pleurésie est un disque taiseux mais jamais avare en émotions. Ces séquences sont à la fois contemplatives et fébriles, hésitent entre des décors presque Jazz (Pleurésie N°2) ou quelque chose qui relèverait du néo-classique.

Car assurément, Rémi Fay emprunte les codes de la musique classique, pour preuve cet usage de l’exercice de la variation. Cet exercice éminemment risqué qui consiste à se jouer des gammes et malaxer un thème, à jouer avec les perspectives et les arrières-plans. Il y a quelque chose d’obsessionnel, de monomaniaque dans cette minutie à travailler le détail. Mais jamais, vous ne trouverez sur ce disque une envie de virtuosité ou quelconque effet de manche pour se faire briller l’égo. L’être se cache derrière sa musique mais ne se dissimule pas pour autant.

A écouter ces huit pièces, on pourrait y entendre quelques résonances Yiddish, quelques échos d’un Michael Nyman. Ce qui est fort sur Pleurésie c’est que la musique est au seul service de l’émotion, une émotion pure, jamais plombée mais jamais béate non plus. On pensera parfois très trés fort à Philip Glass (Pleurésie N°5) mais cette référence omniprésente sonne plus comme une forme d’hommage qu’un manque d’incarnation propre. On croira reconnaître quelques appétences pour des sons plus rugueux comme sur la pièce finale qui se dégrade dans un violoncelle presque noise (Pleurésie N°8).

La musique de Rémi Fay ressemble à un mariage entre certaines productions du label Constellation, Silver Mount Zion en particulier et celles du label ECM, les travaux du violoncelliste David Darling avec Ketil Bjørnstad.

Comme les sons de son aîné Benoit Burello, les climats qu’instaure Rémi Fay ne se drapent pas dans un mystère vaguement paresseux ou brumeux mais insistent bien plus sur des nuances à peine visibles, quelques tremblements, quelques impuretés, des fulgurances parfois. C’est une flânerie musicale qui ne se dilue jamais dans l’inconsistance ou le nombrilisme, au contraire, il se dégage de Pleurésie une multitude de caractères et d’humeurs puissants et vibrants. Toutefois, on n’intellectualisera pas ce que l’on ressent à l’écoute de ces notes car comprendre la musique, c’est ne plus la vivre de l’intérieur mais dans un etat d’exclusion comme à distance.

La musique de Rémi Fay est tout le contraire de cela, elle est avant tout le témoignage sonore d’une humanité silencieuse.

Greg Bod

Rémy Fay – Pleurésie
Sortie le 10 janvier 2020
Label : Association Art des champs