Seabuckthorn – Through A Vulnerable Occur : musique expérimentale accessible à tous

Dans l’ombre, l’anglais Andy Cartwright alias Seabuckthorn continue d’explorer un espace parallèle aidé de sa seule guitare. Sur Through A Vulnerable Occur, il est rejoint par le clarinettiste Gareth Davis. A eux-deux, ils entretiennent un dialogue taiseux avec la photographe australienne Sophie Gabrielle. En résulte un univers bigarré et étrange, totalement irradiant.

Crédit photo : Valerie Tortolero

Cela fait quelques années que l’on suit le travail d’Andy Cartwright alias Seabuckthorn chez Benzine. Pourtant, sur le papier, le concept peut faire figure de repoussoir. Imaginez un peu, de la guitare en solo en mode expérimentale. Je vois déjà votre mine renfrognée, votre air « on ne m’y reprendra pas« . Votre réflexion « Des disques de guitares en solo, j’en ai déjà entendus 3000. C’est toujours la même chose ! ». Passer à côté de Through A Vulnerable Occur serait une grossière erreur. Car ceux qui ont déjà écouté la musique de l’anglais savent que dans sa recherche et sa quête d’absolu, il n’ y a absolument aucune démarche intellectualisante ni cérébrale. Aussi étrange que cela puisse paraître, Andy Cartwright confectionne de la musique expérimentale accessible à tous. Je sais, cela peut vous paraître un peu incongru cette certitude mais c’est belle et bien une certitude justement.

Chez Andy Cartwright, il y a une recherche de la sensualité, jusque dans le rapport à son instrument fétiche, la guitare, même s’il est parfois infidèle à son outil de création en employant un Zaz ou un Charango comme sur Other Other qui le rapproche d’Aukai. Andy Cartwright malaxe la dissonance pour lui faire rendre l’âme et en atténuer la dureté, le caractère métallique, en extraire une douceur.. Il tisse également une poésie de l’immobilité fugace, cet absence de mouvement qui culmine dans une frénésie spirituelle. A la charnière du folk et de l’ambient, Through A Vulnerable Occur est en permanence touché par la grâce. While There By The Woods continue de diffuser en vous longtemps après que vous l’ayez quitté. Est-ce les croquis répétés jusqu’à l’épuisement, les infimes nuances, le tremblement de la main sur une corde qui provoquent cet état d’hypnose ? La musique de Seabuckthorn n ‘est ni vraiment triste ni vraiment joyeuse mais d’une neutralité bien choisie qui explique que l’on y pénètre aussi facilement.

Il y a dans l’univers d’Andy Cartwright quelque chose de l’acte amoureux, vous savez cet instant de l’intime où les corps ne font ni vraiment un ni seulement deux, ces moments où les mains explorent à l’aveugle dans l’obscurité. Un état de plénitude mais aussi d’inconfort. L’abandon qui s’installe mais aussi la crainte d’être maladroit ou malhabile. Seabuckthorn nous plonge dans cet état paradoxal. Ni vraiment un cauchemar ni vraiment un rêve, une déambulation peut-être entre psychédélisme, noise, drone et post-Rock.

Mais ce qui est très fort dans la musique de Seabuckthorn, c’est cette capacité à construire à partir d’une musique seulement instrumentale une dramaturgie qui progresse de titre en titre. Chacune des pièces qui constituent Through A Vulnerable Occur sont comme autant de mouvements, de variations d’humeur. Bien sûr, on pourrait trouver des accointances entre les travaux de l’anglais et le label canadien Constellation ou encore le vénérable label de Chicago Kranky; Comme Efrim Menuck ou Mark K Nelson, Andy Cartwright se plait à illuminer l’abstraction, à la diluer. Il y a aussi une expérience avec l’espace et la manière dont le son se propage et revient par cycle, comment il occupe le temps et les lieux, comment faire émerger de la puissance sonore d’une guitare une fragilité intacte. C’est donc un disque de mouvements mais aussi de changements de climats, on passe de la pénombre à l’aveuglement et de l’obscurité à la noirceur absolue. Parfois sépulcral (Clears) ou onirique (Cooper & Indigo), Andy Cartwright brouille les pistes avec une ambivalence qui maintient notre attention à chaque instant.

Il n’y aura pas besoin d’une part d’érudition pour entrer dans ce disque aventureux, jamais prévisible et souvent impalpable car si vous aimez les belles histoires sans paroles, les conteurs muets, les êtres qui s’esquivent derrière leurs œuvres, Through A Vulnerable Occur vous parlera forcément. Il vous interpellera dans un soupir. Il serait bien difficile de résumer le chemin parcouru à quelqu’un qui prendrait en cours l’invitation à la déambulation proposée par l’anglais. On parlerait peut-être d’une torpeur insidieuse qui s’installe lentement et malgré nous, d’une fatigue saine qui s’infiltrerait, de milles et une images qui défilent devant nos yeux fermés, l’ombre de montagnes peut-être, les vagues blanches sur la jetée d’un port en hiver, les draps froissés d’un lit, la chaleur d’un corps, l’abandon à l’errance sûrement.

Greg Bod

Seabuckthorn – Through A Vulnerable Occur
Sortie le 30 mars 2020
Label : IKKI