[Ciné classique] Festen : le film coup de poing du Dogme 95

Alors que le prochain film de Thomas Vinterberg, le prometteur Drunk, vient de recevoir le label « sélectionné au Festival de Cannes 2020 », coup de projecteur en trois axes sur Festen, film coup de poing qui avait secoué la croisette lors de l’édition 1998.

Festen Vinterberg
Henning Moritzen – Copyright Les Films du Losange

Biographie :

« Je trouve que je ne suis pas une forme d’anarchiste créateur. Je suis intuitif et j’essaye de trouver un moyen d’explorer la fragilité humaine ». Ainsi se définit lui-même Thomas Vinterberg, audacieux cinéaste rebelle qui voit le jour le 19 mai 1969, à Copenhague, en pleine révolution flower power, peace and love. De quoi s’émanciper «dans une maison pleine de hippies heureux», raconte-t-il. A 19 ans, il est le plus jeune élève de la Danske Filmskole, l’école nationale du cinéma danois. Court-métrage de fin d’études, Last Round, lui permet d’obtenir en 1993 son diplôme, puis d’être récompensé dans divers festivals et sélectionné aux Oscars. En 1995, il fonde avec son ami Lars von Trier le mouvement « Dogme 95 », soit un ensemble de règles artistiques qui doivent, à leurs yeux, redéfinir le cinéma. Son premier film, Les héros (1996), utilise ses principes novateurs. 1998, son second film, Festen, débarque en 1998 au Festival de Cannes et suscite la polémique. Le long métrage ébranle et divise singulièrement, mais remporte le Prix spécial du jury. Dogme 95 est consacré !

Festen VinterbergPour autant, son porte-parole succombe à l’aventure américaine en signant It’s All About Love (2003), un film de science-fiction peu convaincant et largement boudé par le public. Son opus suivant, Dear Wendy (2005), subit carrément un échec commercial. Il faut attendre 2012 pour saluer le grand retour de Thomas Vinterberg au Festival de Cannes, avec La Chasse, qui est l’antithèse de Festen. Ce long-métrage remporte le Prix d’interprétation grâce à l’intense Mads Mikkelsen, et aussi le Prix du jury œcuménique. Suivent le romanesque Loin de la foule déchaînée (2015), adaptation du livre de Thomas Hardy publié en 1874, l’autobiographique The Commune (2016) et le maîtrisé Kursk (2018). Amateur de rock, le metteur en scène tourne régulièrement des clips musicaux pour les groupes Blur et Metallica. Le 27 avril 2016, cet artiste inclassable du désordre humain est fait Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.

Contexte :

Le cinéma danois se démarque historiquement par son réalisme, son rapport aux thèmes moraux, religieux, sa franchise sexuelle et son innovation technique. Au début des années 90, l’hégémonie des superproductions anglo-saxonnes remplies d’effets spéciaux bat son plein en Europe. Pour lutter contre ces produits « formatés, lénifiants et impersonnels », deux réalisateurs danois, Thomas Vinterberg et Lars von Trier, imaginent un manifeste cinématographique pour s’affranchir de ces productions. Le 20 mars 1995 est proclamée officiellement au Théâtre de l’Odéon à Paris le « Dogme 95 ». « Le but du Dogme 95 est de revenir à une sobriété formelle plus expressive, originale, plus apte à exprimer les enjeux artistiques contemporains… », entend-on. En 1998, s’inspirant des règles de ce mouvement, Thomas Vinterberg dévoile Festen, premier film labellisé Dogme 95. Son succès est la pierre angulaire d’un mouvement qui s’arrête volontairement le 20 mars 2005.

Désir de Voir :

« Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume de Danemark ? », questionne Jean Tulard, historien du cinéma, à la sortie de ce film coup de poing. Festen est particulier en ce sens qu’il repose sur les principes érigés par le Dogme : tournage sur place sans ajout d’accessoire, son direct, caméra portée, film en couleur sans traitement optique ou filtre, pas d’action superficielle, pas de détournement temporel ou géographique, format pellicule en 35 mm, absence du réalisateur au crédit… Ici, Thomas Vinterberg s’empare d’un lourd secret pour ausculter, par le biais d’un fond psychologique particulier, une famille telle qu’elle n’a jamais été vue. Si l’anniversaire du patriarche tourne petit à petit au jeu de massacre, il s’agit là d’une mise à mort symbolique qui effectue la relecture du mythe d’Œdipe. En effet, sont évoquées les thématiques douloureuses de l’inceste et de la complicité maternelle. Dès les premières embrassades, le cinéaste orchestre le malaise avec sa caméra-vidéo, sa seule entorse à l’obligatoire 35 mm du manifeste qu’il a signé. Vinterberg plonge d’entrée le spectateur au cœur des blessures intimes et pour cela, tel un pavé dans la mare, l’image est particulièrement granuleuse ; gros plans, décadrages et prises sur le vif sont autant de vérités au milieu du cloaque. Filmer ainsi dérange, mais c’est en adéquation avec le sujet traité. Les images qui tressautent, les faux raccords et les mouvements de caméra aléatoires accentuent l’angoisse et le suspense sans avoir besoin de forcer le scénario. Cette virtuosité nous invite, par procuration, à l’immersion totale, et il s’agit ainsi de mieux traquer la vérité.

 

Festen Vintenberg
Thomas Vinterberg, Ulrich Thomsen – Copyright Les Films du Losange

Thomas Vinterberg complète son dispositif par des plans plus posés, durant lesquels l’onirisme embellit le récit, comme par exemple cette scène où le fantôme de la sœur apparaît et observe ce chaos. Mélodrame bourgeois, Festen incite à réfléchir sur l’hypocrisie et inclut en profondeur dans son intrigue le racisme ancré dans la société scandinave, souvent considérée à tort comme épargnée par ce fléau nauséabond. «Ce qui m’intéressait surtout, c’était d’établir un lien entre la montée du fascisme dans un pays et la pression du mensonge structurant tous les membres de cette famille», confirme le réalisateur. L’interprétation intense d’Ulrich Thomsen dans le rôle du fils ingrat rompant le cercle de la fatalité, ainsi que le choix du casting, apportent une dimension émotionnelle viscérale bouleversante. Œuvre innovante, atypique et radicale, Festen est un marchepied pour des cinéastes comme Susanne Bier, Harmony Korine, Jean-Marc Barr et Jim Sheridan. Elle est aussi une inspiration plus directe pour des films récents, tels  Illégitime (2016) de Adrian Sitaru, et Sieranevada (2016) de Cristi Puiu. Une fête inoubliable où la famille trinque sous le sceau de la vérité, toujours bonne à dire…

Sébastien Boully

Festen
Film danois réalisé par Thomas Vinterberg
Avec : Ukrich Thomsen, Henning Moritzen, Thomas Bo Larsen, Birthe Neumann, Paprika Steen
Genre : Drame
Durée : 1h41
À voir en VOD sur : La Cinetek
À voir en DVD chez : Doriane Flms / M6 vidéo