Deerhoof – Future Teenage Cave Artists : Pop expérimentale pour générations futures

Avec une discographie pléthorique, Deerhoof s’est imposé au fil des ans comme un emblème de la musique underground « Do It Yourself ». Avec Future Teenage Cave Artists, le groupe nous montre qu’il n’est pas à court d’idées, bien au contraire.

Deerhoof - Future Teenage Cave Artists
Crédit : Shervin Lainez

Le contre-pied de Mountain Moves

Deerhoof est tellement productif qu’on a du mal à se mettre d’accord sur le nombre d’album sortis par le groupe (la faute aux EP et autres mini-albums qui sont venus s’intercaler entre les « albums studios officiels »). Entre 15 et 18, selon les sources. Et si le dernier venu Mountain Moves a pu diviser, notamment à cause de (ou grâce à, selon les opinions) la présence de nombreux invités, Deerhoof a globalement toujours su se renouveler tout en restant dans son style très particulier, en proposant une musique pop déconstruite, déroutante, et malgré tout particulièrement efficace.

deerhoof-future-teenage-cave-artistsFuture Teenage Cave Artists, sorti sur le label Joyfull Noise, prend le contre-pied de son prédécesseur et nous livre une musique très intérieure, qu’on pourrait même qualifier de renfermée sur elle même si cela ne donnait pas une impression négative, ce qui n’est pas le but, loin de là. On se sent presque comme un intrus, écoutant à la porte entrouverte d’un garage un groupe faire des expérimentations sonores sans avoir conscience que quelqu’un l’écoute. Mais pas n’importe quel groupe et pas n’importe quelles expérimentations.

Comme d’habitude on retrouve les guitares éraillées, avec leurs arpèges imprévisibles et pourtant étrangement familiers, qui annoncent une réalité que nous connaissons bien, mais distordue par des prismes qui nous échappent. Il y a aussi les rythmes improbables, les ruptures, les syncopes, tout ce qui donne l’impression jouissive que chaque membre joue dans son coin et que ce n’est que par un heureux hasard que tout finit par sonner ensemble. Et bien sûr les voix de Satomu Matsuzaki et Greg Saunier qui viennent apporter une douceur et une cohérence surprenante à ce tableau romantique et raturé, comme une berceuse pour enfant hyperactif.

Dans Future Teenage Cave Artists, Deerhoof ne se contente pas d’une mélodie ou d’une suite d’accords sur laquelle il y aurait déjà beaucoup à dire, il la triture, la concasse, l’associe à une autre en stéréo pour en faire une symphonie de l’improbable, en fait tout ce que vous n’auriez pas imaginé pouvoir en faire. Les arrangement sont joyeux et éclatants, jamais plats, comme si chaque instrument voulait revendiquer son existence. Une énergie sans agressivité, à la croisée entre l’espoir et le fatalisme. Espoir et fatalisme, c’est d’ailleurs de ça dont il est question dans cet album qui est (dixit le groupe lui-même) une ode à celles et ceux qui essaient de construire une alternative à ce monde qui décline, qui sortent des systèmes et adoptent de nouveaux modes de vies. Les Future Teenage Cave Artists, ce sont eux.

De la créativité à l’état brut…

Bien que le groupe s’embarrasse rarement des structures habituelles, les codes de la pop sont omniprésents dans l’album. Sans doute pour faciliter l’immersion, les deux premiers morceaux Future Teenage Cave Artists et Sympathy for the Baby Boo sont les plus rassurants en terme de progression. Puis arrive le 5/4 de The Loved One qui annonce le début du feu d’artifice qui durera jusqu’à l’avant dernier morceau. Damaged Eyes Squinting into the Beautiful Overhot Sun sonne comme si le groupe se rappelait d’un seul coup qu’il y a des gens qui l’écoutent et se disait : il faut peut-être qu’on fasse quelque chose pour eux ? La production est plus lisse, plus pop et moins malaxée, donc plus accessible mais fatalement un peu moins intéressante même si cela reste un très bon morceau, un peu comme une pierre précieuse sous cellophane. I Call On Thee vient clore cet album comme on terminerait un téléfilm dramatique, et il est difficile de dire à ce stade si cela fait sens, le système de cohérence dans lequel l’album évolue ne nous appartenant de toute façon plus vraiment.

Malgré ses airs dépouillés et spontanés, Futur Teenage Cave Artists est d’une richesse incroyable et présente une densité d’idées mélodiques et sonores étourdissante, avec pourtant très peu d’effets et d’artifices. De la créativité à l’état brut qui nécessite certes plus qu’une écoute superficielle. L’album est si dense que de loin on pourrait croire qu’il est lisse, mais c’est tout le contraire. Il faut s’approcher de près pour se rendre compte que ce sont en fait des montagnes russes qu’on a sur les oreilles, chaque morceau renfermant suffisamment de matériel mélodique pour composer un EP entier.

À ce titre, Future Teenage Cave Artists est une cure radicale et sans douleur au manque d’inspiration.

Adrien ALLEGRE

Deerhoof – Future Teenage Cave Artists
Label : Joyful Noise Recordings
Date de sortie  : 29 mai 2020