Peau d’homme : il était une fois le désir

C’est l’histoire d’une jeune femme et d’une peau d’homme qui permet de revêtir l’allure d’un garçon pour voyager incognito dans le monde des hommes. C’est une fable qui parle des femmes, des hommes, de désir, de maintenant.

Peau d'homme - Hubert & Zansim
© Glénat

Il était une fois une jeune femme qui devait découvrir avant son mariage arrangé les mystères du commerce entre les hommes et les femmes. Une tante lui transmit pour explorer ces affaires rien de moins qu’une peau d’homme, prénommée Lorenzo, qu’elle revêtit pour aller voir de l’autre côté. C’est alors le début des ennuis, des désirs mystérieux, c’est-à-dire de la vie.

Conte de genres

Peau d'homme - Hubert & ZansimDans l’Italie de la Renaissance, une jeune femme devant prendre époux se trouva fort décontenancée de n’y rien connaître aux hommes. Ni à leur anatomie, ni à leurs désirs, encore moins à l’anatomie de leur désir. Et sa mère, étant passée par les mêmes affres que sa fille ne lui était d’aucun secours. Une tante, telle une marraine d’un conte de fée, lui révèle alors un fabuleux secret. Dans la famille, les femmes possèdent dans un coffre, bien cachée, une peau d’homme. Une véritable peau d’homme qu’une femme enfile tel un vêtement pour aller explorer le monde ainsi revêtue et parée. Habillée de cette peau d’homme, Bianca, la jeune demoiselle en question, se trouve ainsi en mesure de côtoyer son fiancé avant le mariage. Requête qui lui a été refusée auparavant, la jeune femme ayant énoncé de façon fort cavalière qu’il eut été bon de connaître son promis avant la nuit de noces annoncée. C’est alors le début pour Bianca, vêtue en Lorenzo, d’une exploration de l’autre côté, de l’autre sexe présenté comme inconnu. Il va de soi que ce conte, comme il se doit, n’est qu’un prétexte à interroger un registre au-delà du récit, et notamment ici la question des genres et des identités sexuelles, de ce qui les sépare, de ce qui les fait se croiser, entre les individus mais aussi en chacun.

Il n’y a pas de rapport sexuel

Tant la question du rapport entre les sexes affiche ici sa diversité et son asymétrie réjouissante, tout comme son équité légitime, Lacan et son aphorisme provocateur auraient pu être invités à la fête. Car les auteurs provoquent avec finesse, au sens non pas d’une provocation insensée et gratuite, mais au sens où la narration ciselée de Hubert et et les traits légers de Zanzim provoquent chez le lecteur émois, surprises, sourires, dans un élan virevoltant. Ils illustrent avec une simplicité apparente cette question toujours complexe du rapport homme/femme entre les êtres, masculin/féminin en chacune et chacun, en situant non pas un mode d’emploi qui n’existe pas mais une réflexion singulière sur ce qu’est être femme ou faire l’homme, être homme et agir comme une femme. Et dans cette asymétrie entre les êtres et les corps prend naissance sous la plume et le dessin des auteurs une danse. Certaines planches apparaissent tantôt comme des tapisseries médiévales, tantôt comme des chorégraphies enlevées et endiablées. Et dans ce conte qui n’a de médiéval que la toile de fond, nous pouvons entendre le propos sous-jacent, parions-le, selon lequel l’iniquité entre hommes et femmes serait à laisser à une époque moyenâgeuse. Et pose la question de comment chacun et chacune construit, dans ces repères posés entre homme et femme, son altérité propre et son désir singulier.

Des désirs et des sentiments

De façon subtile se tisse dans les espaces entre les cases une tapisserie des désirs et des sentiments. Les auteurs ont cette délicatesse de ne pas forcer le trait, de ne pas apprendre au lecteur ce qu’il doit lire, le laissant libre à l’instar de Bianca, d’explorer ce non-manuel à l’usage des honnêtes gens. Honnêtes au sens de ne cédant pas sur son désir. Car ici, si le récit n’est pas grec, le propos devient éminemment éthique cependant. Les questions que traversent les personnages concernent celle de leurs désirs et de comment les assumer dans le monde où ils vivent. Entre un prédicateur inquisiteur radicalisant les rapports entre hommes et femmes, haranguant une foule prompte à juger autrui pour racheter ses propres désirs culpabilisés, assumer ses désirs devient un acte de bravoure, de volonté de ne pas renoncer à ce qui anime son être, à ne pas éteindre les questions sans réponse absolue sous un discours de bure.

Peau d’homme est une leçon de courage et de vie pour chacune et chacun, pour chacun en chacune, et inversement ! N’ayez pas peur, habillez-vous en Bianca un instant et allez voir plus loin, vous vous y trouverez assurément.

Anthony Huard

Peau d’homme
Scénario : Hubert
Dessin : Zanzim
Editeur : Glénat
160 pages – 27 euros
Parution : 3 juin 2020

Peau d’homme – Extrait :

Peau d'homme - Hubert & Zansim
© Glénat