Tiempo después : une réjouissante fantaisie d’anticipation anticapitaliste

Loin de toutes les limonades cinématographiques ambiantes, venez déguster une bonne dose de citronnade anarchiste, au sein de cette futuriste satire en Absurdie 9177.

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José Luis Cuerda, iconoclaste cinéaste ibère malheureusement décédé le 4 février 2020, livre en guise de singulier testament une picaresque farce politique survitaminée. Une œuvre de science-fiction abondante où la lutte des classes est revisitée entre les puissants qui habitent dans la seule tour (à la forme génitale évocatrice) encore existante au milieu de la Monument Valley, et les pauvres qui végètent dans une forêt bidonville. La structure du récit foutraque entraîne le spectateur au sein d’une succession de saynètes surréalistes à la sauce Monty Python espagnole, pimentée de dialogues corrosifs (avec de nombreuses références à la pop culture), et de multiples situations absurdes (parfois répétitives) qui permettent au cinéaste provocateur de dézinguer à tout va : la monarchie et la dictature du pouvoir, la jeunesse apathique, l’Église, les dérives de la bureaucratie et de la police, les révoltés vite étouffés…

TIEMPO DESPUÉS affichePour illustrer cette révolution amère au goût de « jus de citron » le réalisateur déploie une mise en scène qui n’est pas s’en rappeler l’esthétisme de la bande dessinée, et certaines œuvres de Luis Buñuel ou créations de Salvador Dali. En effet, à travers des cadres étudiés en forme de cases, l’auteur s’appuie sur ce procédé pour croquer tous ses protagonistes avec sa caméra « crayon de couleurs », afin bien entendu de faire exploser au mieux cette ossature, représentation de la révolte. Des décalages aux décors vert de gris cloisonnés et épurés à l’intérieur la Tour où les travailleurs (barbier, boulanger, maire, concierge…) sont parqués (comme des moutons) sous la forme d’une cellule dans un espace clos aux dimensions farfelues, sous la surveillance d’un général affublé d’un adjoint atypique. La forêt plus colorée composé par les pauvres en guenilles et les chômeurs obligatoires (pour ne pas faire vaciller l’ordre établi) offre une ambiance formellement bien différente, prolixe à la discorde. Du roi fainéant tout droit sort d’une caverne (de Platon ?) au limonadier par qui va passer la révolution, l’auteur s’amuse avec un esprit punk rafraîchissant à questionner la folie des hommes.

Sous son aspect foutraque et trop foisonnant, cette acide fantaisie d’anticipation anticapitaliste s’avère un singulier miroir de notre société contemporaine déséquilibrée. Une organisation mondiale qui va droit dans le mur, si l’on ne se presse pas d’y mettre un peu d’agrumes d’intelligence pour notre bien commun : l’humanité. Sans attendre 9177, le cinéaste apostrophe nos consciences citoyennes afin de lutter pour un monde d’après sans pépins. Loufoque. Ironique. Humain.

Sébastien Boully

Film espagnol réalisé par José Luis Cuerda
Avec Roberto Álamo, Bianca Suarez, Miguel Rellán, Antonio de la Torre
Genre : Comédie / Science-fiction
Durée : 1h35m
Date de sortie : le 22 juillet 2020