[Ciné classique] Old Boy- Park Chan-wook : un « revenge movie » de référence

Alors que JSA (Joint Security Area) vient de sortir dans un beau coffret Blu-ray (Éditeur The Joker Films), coup de projecteur en 3 axes sur Old Boy, le chef-d’œuvre majeur de l’épatant réalisateur coréen Park Chan-wook.

Old Boy : Photo Kang Hye-Jeong, Min-sik Choi
© Bac Films

Biographie

« Je suppose que je fais sans doute des films violents en partie parce que je ne peux exprimer ma colère dans ma vraie vie, qui va très bien », concède Park Chan-wook. Figure emblématique du nouveau cinéma coréen, né le 23 août 1963 à Séoul (Corée du sud), ce réalisateur se distingue par la violence et le lyrisme d’un cinéma qui ausculte la cruauté humaine. Elève modèle et brillant, il s’oriente vers l’esthétisme à l’université de Séoul, et bifurque ensuite vers la philosophie à l’université de Sogang, créant au cours de son cursus le Sogang film community (ciné-club qui réunit des étudiants cinéphiles). La Femme de feu (1982) de Kim Ki-Young, et Sueurs Froides (1958) d’Alfred Hitchcock, l’orientent vers le 7e art.

old-boy-afficheIl débute par l’écriture d’essais critiques cinématographiques, devient assistant réalisateur et se lance dans son premier long-métrage en 1992 avec Moon is the sun’s dream. Il trouve ses marques huit ans plus tard avec le brllant Joint security Area, qui traite du conflit entre les deux Corées. En 2002, Sympathy for Mister Vengeance ouvre une trilogie. Le second volet, Old Boy, est sélectionné au Festival de Cannes en 2003. Cette oeuvre remporte le Grand Prix et loupe la Palme d’or à deux voix près, confessera l’exalté Quentin Tarantino, président du jury et fervent admirateur du cinéaste. Elle soulève également l’enthousiasme des critiques et du public. Le triptyque se conclut en 2005 avec le caustique Lady Vengeance. Le metteur en scène s’offre une bouffée d’oxygène avec une déroutante histoire d’amour, Je suis un cyborg, et poursuit en 2009 avec la romance vampirique Thirst, ceci est mon sang, récompensée par le Prix du jury à Cannes. Le réalisateur s’envole pour les Etats-Unis et dévoile Stoker (2013), hommage à l’art hitchcockien. Trois ans plus tard, Park Chan-Wook revient sur la croisette avec le sublime thriller sulfureux Mademoiselle. Ce vieux garçon, chef de file de la Nouvelle Vague coréenne, au sourire lumineux, fait rayonner par des œuvres sombres la face cachée de nos âmes, et d’après ces futurs projets, n’a pas encore fini de nous éclairer sur nos propres tourments.

Contexte

Après l’assassinat du dictateur Park Chung-hee en 1979, la Corée s’ouvre vers une transition démocratique. A partir de 1998, un boom cinématographique fait place aux films de genres, sans doute pour exorciser le passé. Park Chan-wook profite de cette nouvelle orientation politique pour créer EGG Films en 2001, une société qui lui apporte, ainsi qu’à ses cinéastes associés, l’indépendance artistique. En 2002, Bong Joon-ho, réalisateur du remarquable Memories of murder (2004) et de Parasite , sensationnelle première Palme d’or coréenne lors du Festival de Cannes 2019, propose la lecture du manga Old Boy paru en 1997, écrit par Tsuchiya Garon et édité en huit volumes. « Je l’ai lu sans penser à en faire un film », avoue Park Chan-wook. Mais le producteur exécutif, Dong-Joo Kim, détenteur des droits d’adaptation, propose une seconde lecture. Le réalisateur le relie sous un autre angle et accepte de mettre en scène ce manga dans une adaptation libre et magistrale.

Désir de voir

« Je suis la plaie et le couteau. Je suis le soufflet et la joue… et la victime, et le bourreau ! ». Ces vers de Charles Baudelaire tirés des Fleurs du mal définissent l’essence de ce poème violent et lyrique qu’est Old Boy. Deuxième volet de la « trilogie de la vengeance », adaptation du manga éponyme, ce film hybride trouve également son inspiration chez Sophocle, William Shakespeare et Franz Kafka, tout en illustrant la loi du talion, œil pour œil, dent pour dent. Un  thriller transgressif stupéfiant, manifeste cinématographique déclinant de manière exacerbée et monstrueuse le thème de la vengeance mêlée à des problèmes moraux, ajoute aux personnages des aspects psychologiques intenses. D’emblée, le spectacle manipulateur s’ouvre au cœur de l’intrigue ; depuis quinze ans, un homme est enfermé sans raison évidente dans une chambre exiguë et sale. Sorte de « Conte » de Monte-Cristo, l’œuvre de Park Chan-wook instaure un récit gigognes d’humour noir avec une maestria visuelle et une exagération des sentiments jamais vues avant elle.

La mise en scène enchaîne les effusions graphiques sidérantes, multiplie les plans insensés : caméra portée, plan à la grue, travellings hallucinés, gros plans éblouissants et plans séquence virtuoses, comme cette scène de fight filmée comme Diego Vélasquez peignait ses tableaux. Tape-à-l’œil symbolique ou signifiant, surimpressions d’images numériques (pointillés, fourmis), trompe l’œil et esthétique colorimétrique sur-stylisée (couleur chaude et froide) en opposition constante par un jeu de lumière discordante, composent sans cesse des peintures baroques.

Ce drame intime, sauvage et gore jusqu’à la déshumanisation, grâce notamment à l’incarnation démentielle de Mink-sik Choi, emploie une partition musicale romantique dans lequel les thèmes de musique classique s’enchaînent comme des valses macabres pour souligner la circularité du temps, la fatalité et le destin des personnages. Jamais le kitsch n’avait aussi bien tutoyé le sublime, le malsain frôlé de si près la pureté, la barbarie enlacée la beauté, et les ténèbres se transformer en lumière onirique . « Dans mes films, on voit beaucoup d’actes violents, mais ce qui compte, c’est la psychologie de la vengeance, l’esprit de la vengeance. La violence n’est qu’une métaphore », explique le cinéaste.

Old Boy peut se regarder aussi comme une allégorie sombre de la dictature militaire perpétrée de 1961 à 1979 par le général Park Chung-hee, emprisonnant la Corée du Sud dans le noir. Ce ballet choc a pulvérisé les codes du film de genre et poussé le curseur à des hauteurs jamais atteintes, sommet d’horreur dérangeant, profondément humain, accouplé à une tragédie bouleversante. Un « revenge movie » écrit à la façon d’un mythe pour réveiller nos instincts primaires aussi bien que nos élans du cœur. Depuis, il irrigue l’imaginaire des cinéphiles autant que des réalisateurs comme Quentin Tarantino et Nicolas Winding Refn, devenu la matrice de nombre de projets coréens, tel l’hallucinant J’ai rencontré le diable (2011), de Kim Jee-woon. Cette œuvre audacieuse à bien des égards vous fait vaciller durablement.

Sébastien Boully

OLD BOY
Film coréen réalisée par Park Chan-wook
Avec Min-sik Choi, Yoo Ji-tae, Kang Hye-Jeong
Genre : Drame / Thriller
Durée : 1h59
À voir en VOD sur : Univers Ciné / La Cinetek / Canal VOD, FILMOTV, Orange VOD
À voir en Blu-ray/DVD (Éditeur Wild Side)