« Nous nous sommes tant aimés » d’Ettore Scola : Mes amis, mes amours, mes emmerdes

En 1974, Ettore Scola vient offrir au public une superbe fresque sur l’Italie d’après-guerre à travers le regard de trois hommes, trois amis. Un regard tantôt drôle, tantôt acerbe sur les 30 glorieuses et la fin des illusions. Scola fait le deuil de la jeunesse et des idéaux avec une maestria jouissive. Drôle, mélancolique, profondément ancré socialement dans cette époque pleine d’utopies. Scola livre un film magnifique, d’une finesse et d’une intelligence rares. À ne pas manquer.

Nous nous sommes tant aimés ! : Photo Nino Manfredi, Stefano Satta Flores, Vittorio Gassman
Copyright D.R.

Nous nous sommes tant aimés c’est un peu l’histoire de l’Italie.

L’Italie de l’immédiate après-guerre. De la libération. Des factions communistes. D’une jeunesse prête à tout pour s’émanciper et jeter vingt années de fascisme et de terreur dans les oubliettes de l’histoire.
L’Italie de la reconstruction. Des programmes immobiliers nationaux et de ce capitalisme bétonneur.
Une reconstruction sociale, culturelle, et morale aussi. Un nouvel âge pour l’Italie renaissante.
Un âge où la camaraderie, la fraternité et les idéaux révolutionnaires vont peu à peu et tristement laisser place à la dure réalité du nouveau monde, l’ambition professionnelle dévorante et le « chacun pour soi » cher à ce bon vieux libéralisme.

Nous nous sommes tant aimés c’est aussi l’histoire de 3 amis.

3 amis qui se rencontrent dans le maquis et qui oeuvrent dans le même but : la liberté, et cette solidarité de personnes aux idéaux communs.
Mais c’est justement cette libération qui va séparer nos 3 amis. Les jetant dans la vie d’après-guerre, laissant ces fervents militants communistes se débrouiller dans ce nouveau monde où leurs rêves et leurs illusions vont être mis à rude épreuve.

C’est l’histoire de Gianni, Nicola et Antonio.

Gianni est avocat… Et de gauche ! Gianni cherche des clients, mais les temps sont durs pour les jeunes avoués. Alors oui ! Il épousera Elide, fille d’un odieux fasciste parvenu.
Elide, qu’il n’aimera jamais vraiment et dont l’accident de voiture mortel ne le touchera pas.

Il y a Nicola, intellectuel et cinéphile averti. Intransigeant dans ses choix et excessif dans ses emportements. I
Il y a de la violence dans cette intransigeance, dans cette cinéphilie extrême et cet amour pour De Sica et le néo-réalisme. Quelque chose de Stalinien dans sa vision de l’Art.
Ce sera finalement, ironie du sort, cet amour exclusif et totalitaire pour le réalisateur du « voleur de bicyclette » qui le perdra.

Et puis il y a Antonio. Brancardier depuis toujours, continuant à l’inverse de ses amis à lutter pour ses droits et à s’impliquer dans cette gauche prolétarienne.
Demeurant, au final le moins ambitieux, le plus pur, le plus fidèle à son combat…Et certainement, le plus heureux.

Le tableau ne serait pas complet, si il n’y avait pas LA femme : Luciana.
Désirée de tous. L’amarre de cette histoire. L’amour de cette bellissima (Stefania Sandrelli sublime) sera, sur ces 30 années, le seul point d’accord invariable pour nos 3 amis.

Nous nous sommes tant aimés c’est encore un hommage au cinéma.

C’est l’hommage de 30 années de cinéma Italien.
Du Néo-réalisme fondateur de Rosselini et De Sica jusqu’à l’âge d’or de la folie Fellinienne et de cette triste incommunicabilité Antonionienne.

Nous nous sommes tant aimés c’est avant tout 30 années.

30 ans de vie.
30 ans d’illusions et de désillusions.
30 ans d’espérance et de désespérance. d’amour et de désamour.

C’est le film du temps qui passe.
Des rides qui apparaissent.
De la dure réalité fermant doucement la porte aux rêves de jeunesse.
C’est cette tristesse tellement drôle et cet humour si dur.
C’est le film de la quarantaine. Le film du bilan.

« Nous nous sommes tant aimés  » C’est le film de la vie.
Le film de notre vie.
Le film de ta vie.

« Nous nous sommes tant aimés  » c’est toi !

Renaud ZBN