Viagra Boys – Welfare Jazz : le premier choc émotionnel de 2021 !

La Suède nous a déjà donné de beaux groupes de Rock, mais avec Viagra Boys, on atteint cette fois un niveau d’originalité et d’excellence supérieur : Welfare Jazz est le premier grand choc d’une année 2021 qui, au moins musicalement, démarre en trombe !

Viagra Boys
D.R.

Pas du post-punk, mais du faux punk rock disco biberonné au blues

Rappelons quelques faits, dans la mesure où nous allons chanter les louanges d’un groupe qui n’est pas encore très connu : Sebastian Murphy, natif de San Francisco, s’est exilé en Suède et y a formé Viagra Boys en 2015 : un nom de groupe gentiment provocateur, peut-être parce que le but de cette musique est, comme pour la célèbre pilule bleue, de provoquer en nous une excitation quasi incontrôlable ! Depuis sa création, le groupe s’est construit une solide réputation sur scène, même si l’étiquette post-punk, qui lui a été collée pour être « à la mode », ne lui rend absolument pas justice, et risque au contraire d’en détourner un public peu attiré à l’idée de voir répétées ad nauseam les formules inventées dans les années 80.

Welfare JazzAprès Street Worms, publié en 2018, Welfare Jazz continue largement dans la même veine : une ambiance disco déglinguée, avec des vagissements d’un saxo pas très virtuose, du faux punk rock biberonné au blues et traversé d’électronique désaxée, sur une basse bourdonnante ; une voix qui va-et-vient en permanence entre ironie provocatrice et sincérité bouleversante ; des textes tantôt chantés, tantôt parlés, qui célèbrent les exclus, les miséreux, les rejetés… ; et, un peu comme chez Fat White Family, le sentiment d’un véritable danger qui rôde derrière cette musique fortement déséquilibrée.

« You can have me if you want me / All I need is a little strip money / I need a place for all the shit in my closet / I need a place to put all my electronics / I Ain’t nice » (Tu peux m’avoir si tu me veux / Tout ce dont j’ai besoin, c’est un peu de blé pour te faire un strip-tease / J’ai besoin aussi d’un peu de place pour toute ma merde dans un placard / J’ai besoin d’un endroit pour mettre tous mes appareils électroniques / Je ne suis pas gentil…) : l’intro belliqueuse mais cyniquement drôle de Ain’t Nice nous a rappelé un court instant la méchanceté décalée des Stranglers de Black & White, mais on préférera taire cette référence pour ne pas, justement, battre une fois de plus le rappel des grands groupes punks. En tous cas, Sebastian Murphy, tatoué des pieds à la tête, quelque part entre Shane McGowan – pour les abus en tous genres servant de moteur à sa musique – et Sleaford Mods pour la défense du prolo moyen, n’est pas revenu pour être sympa… même s’il va, et c’est là, la grande force de Welfare Jazz, nous dévoiler également son cœur de manière proprement stupéfiante.

« Clean »

Toad nous rappelle sur un rythme boogie synthétique combien la masculinité toxique est facilement relayée par les clichés rock’n’roll : « Well, I don’t need no woman tellin’ me / When to go bed and when to brush my teeth / Girl, if you ain’t my mother, please don’t try to be ! » (Eh bien, je n’ai pas besoin qu’une femme me dise / Quand aller au lit et quand me brosser les dents / Ma fille, si tu n’es pas ma mère, n’essaye pas de l’être !). Derrière l’ironie maniée de main de maître par Murphy, il n’est pas difficile de reconnaître des positions politiques pas si loin éloignées de celles d’un IDLES, par exemple…

Into the Sun évoquera à certains d’entre nous les moments les moins sages de Tom Waits, suspendu de manière improbable entre tradition et modernité. Creatures décrit clairement sur un beat et une mélodie très synth pop des plus ironiques, le grand sujet des chansons de Viagra Boys, cette part de l’humanité que l’on ne veut plus voir : « Way down under the water / We don’t have jobs, yeah, we don’t bother / To pay our bills or go to work or get to places on time / Yeah, we just float around close to the bottom / Looking for scrap metal and cans and bottles / We are content with laying on our backs » (En bas sous l’eau / On n’a pas de boulot, non, on va pas d’embêter avec ça / Pour pouvoir payer nos factures ou devoir aller travailler ou se rendre à certains endroits à l’heure / Ouais, on flotte tout près du fond / À la recherche de vieille ferraille, de canettes etde  bouteilles / On se contente de se coucher sur le dos…). Plus loin, le rapidement déjanté 6 Shooter rappellera forcément les délires stoogiens de la Fun House

L’une des nouveautés importantes de Welfare Jazz, c’est que Sebastian Murphy se dit désormais « clean », ce qui nous donne, par exemple, un I Feel Alive très blues, avec un vrai supplément d’âme grâce à un texte d’une simplicité et d’une honnêteté saisissante : « Jesus Christ, I feel alive / Just last week I thought that I was gonna curl up and die / I tell you what, I feel alive / Oh, Jesus Christ, I wanna cry / I no longer wanna die » (Jésus-Christ, je me sens vivant / La semaine dernière, je pensais que j’allais me recroqueviller et mourir / Je vais te dire, je me sens vivant / Oh, Jésus-Christ, je veux pleurer / Je ne veux plus mourir).

A apprécier sur scène…

Girls & Boys continue d’ailleurs dans le même registre bouleversant, adressant la question du genre avec une bonne dose de colère en plus, qui en fait peut-être le sommet émotionnel du disque : « They always try to tie me down / (Boys) / This fucked up world keep spinning round’ / (Girls) / But one day i’ma burn it down » (Ils essaient toujours de m’attacher / Ce monde complètement foutu continue de tourner en rond / Mais un jour je vais y foutre le feu…)

Et ces fameuses influences americana, dont parle régulièrement Murphy ? La fin de l’album les célèbre, d’abord avec le très beau To the Country, où la voix prend des accents à la Johnny Cash… et ensuite dans une étonnante conclusion « country punk » : In Spite of Ourselves est construit sur une structure traditionnelle de dialogue masculin-féminin, avec l’aide d’Amy Taylor de Amyl & The Sniffers… mais avec aussi une touche « de grossièreté et d’humour » bien particulière : « He ain’t been laid in a month of Sunday / I caught him once, and he was sniffin’ my undies / He ain’t too sharp, but he gets things done / Drinks his beer like it’s oxygen » (ça fait une éternité qu’il n’a pas tiré un coup / Je l’ai attrapé une fois en train de renifler mes sous-vêtements / Il n’est pas trop malin, mais il fait ce qu’il y a à faire / Il boit sa bière comme si c’était de l’oxygène). Et pourquoi pas ?)

La seule chose à ajouter est que nos Viagra Boys sont avant tout un groupe à apprécier sur scène : en 2021, sans perspective de tournée, où est-ce que ça les place ? Dans notre cœur, au moins ça c’est sûr !

Eric Debarnot

Viagra Boys – Welfare Jazz
Label : YEAR0001
Date de parution : 8 janvier 2021