[Netflix] Snabba Cash : finances et trafic de stupéfiants, deux univers impitoyables

Qu’est-ce qui distingue le monde du trafic de drogues de celui des investisseurs financiers dans les start-ups digitales ? Pas grand-chose, semble nous répondre Snabba Cash, série suédoise qui nous fait partager les décisions difficiles d’une jeune femme cherchant à sortir de son milieu social.

Snabba Cash
Copyright : Netflix

On se souvient peut-être que, en 2016, l’excellente série TV StartUp avait exploré les similitudes entre le monde sans pitié de la nouvelle économie digitale où s’entre-dévoraient les requins de la finance à l’affût des start-ups susceptibles d’être les GAFA de demain, et le monde sous-terrain des gangs, trafiquants de drogues et défendant leur territoire par la violence. Snabba Cash – soit en suédois « Argent rapide » (et non « Easy Money » suivant la traduction habituelle en anglais !) a visiblement l’ambition de traiter le même sujet, en accompagnant le long de 6 épisodes la trajectoire de Leya, jeune femme brillante et ambitieuse « issue de l’immigration », comme on dit non sans hypocrisie, par ailleurs veuve d’un trafiquant de drogues, qui essaie de faire financer son entreprise tout en résistant à l’emprise de la criminalité qui gangrène son milieu social d’origine.

Snabba Cash afficheLa série écrite par Oskar Söderlund nous est présentée comme inspirée par la trilogie de films suédois de Jens Lapidus, Easy Money (avec Joel Kinnaman…), mais cette origine est finalement peu pertinente ici, d’autant qu’il s’agit de films passés relativement inaperçus en France. Ce qui intéresse vraiment dans Snabba Cash, au-delà de son indéniable efficacité narrative grâce à un scénario à la trajectoire implacable, à des acteurs motivés et pour la plupart charismatiques, et à une réalisation fébrile (un peu trop, même…), c’est ce que le film nous dit sur notre monde. Et la manière dont cette histoire, brutale, déchirante même parfois, en particulier grâce au personnage-clé du petit Tim, observateur, puis acteur et finalement victime de ce déferlement de violence, nous interroge sur notre propre détermination à accomplir nos rêves de succès, de pouvoir ou de richesse : est-il possible de sortir du piège du déterminisme social ? que somme-nous prêts à sacrifier pour gagner ? quelle est finalement la valeur réelle de rêves, de désirs qui nient notre humanité ? Des questions certes assez classiques pour un thriller, mais qui prennent d’autant plus de sens quand elles sont également appliquées au monde du business et de la finance, à travers les personnages d’investisseurs opportunistes et sans scrupules, finalement plus déplaisants encore que les responsables du trafic de drogues…

Profondément pessimiste quant aux réponses qu’elle apporte à ces questions, Snabba Cash a l’intelligence de ne proposer ni happy end, ni tragédie irrémédiable, mais une conclusion douce-amère, « grisâtre » même, équilibrant avec pertinence pertes et profits comme sur un bilan financier : c’est là un choix intelligent par son réalisme, même si l’on peut aussi soupçonner – avec un peu de cynisme – que ce final laisse la porte ouverte à une seconde saison.

Il est juste dommage – et c’est une critique inhabituelle vis-à-vis des séries TV, souvent trop longues et trop délayées, surtout chez Netflix – que Snabba Cash soit passée trop vite dans son déroulement sur les aspects « professionnels » de la start-up de Leya, caricaturant un peu ce monde du business, et nous donnant finalement l’impression que les scénaristes ne savaient pas trop de quoi ils parlaient : en sacrifiant l’équilibre entre les deux univers de Leya en faveur du volet plus traditionnel du film d’action, l’équipe de Snabba Cash a finalement manqué d’ambition. Et c’est dommage…

Eric Debarnot

Snabba Cash
Série TV suédoise de Jens Lapidus et Oskar Söderlund
Avec : Evin Ahmad, Alexander Abdallah, Ayaan Ahmed…
Genre : triller, drame
6 épisodes de 45 minutes, mis en ligne (Netflix)  le 7 avril 2021