[Amazon Prime] Eux : les spectres du racisme…

Grosses attentes vis-à-vis de Them (Eux), série ambitieuse prétendant mettre la société US face à la cruauté de son « Histoire du racisme »… D’où une réelle déception devant des choix scénaristiques et formels très discutables !

Eux
Deborah Ayorinde – Copyright Amazon Prime Video

Il est difficile de ne pas aborder Eux, la dernière série TV Sony / Amazon traitant de l’histoire du traitement horrible – moralement et physiquement – de la population américaine noire par la majorité blanche, comme une version télévisée de l’approche originale et reconnue de Jordan Peele dans ses fameux Get Out et Us (un titre qui accentue encore l’effet d’écho avec la série…). Et c’est d’autant plus vrai que le choix – discutable, on y reviendra – de Little Marvin est de « pimenter » un récit (pseudo ?) réaliste / historique à l’aide d’insertions fantastiques, reprenant plein pot les codes contemporains de l’horreur « commerciale ».

Eux afficheIl y a tout d’abord ce premier épisode éprouvant, franchement remarquable, et qui restera malheureusement inégalé par le reste de cette première saison, posant les bases de l’histoire : dans les années 50, la famille Emory, victime d’un fait divers terrible – qui nous sera dévoilé totalement plus tard – dans son état natal de Caroline du Nord, « émigre » en Californie dans le cadre d’une campagne politique gouvernementale. A leur arrivée dans une banlieue résidentielle blanche, les Emory vont réaliser que les choses ne sont pas meilleures pour eux dans leur nouveau foyer. Face à un déferlement de haine et une multiplication des provocations, puis des attaques de plus en plus violentes, ils vont basculer dans une sorte de paranoïa hallucinatoire – exacerbée par l’intrusion dans leur vie de spectres inquiétants – et surtout dans un doute qui est – ou tout au moins devrait être – au centre de Eux : faut-il réagir ? comment répondre à la haine ? jusqu’où aller ? pour en arriver à quoi ?

Une fois passée cette introduction brillante, les problèmes de Eux deviennent de plus en plus évidents, et même graves. Il y a d’une part une complexité scénaristique croissante, avec des thèmes nouveaux qui ne cessent de s’additionner jusqu’à la saturation : la spéculation immobilière, le racisme dans l’entreprise, le suprémacisme blanc, l’hôpital psychiatrique comme « traitement » politique des minorités / des dissidents, les traumatismes familiaux, les dérives du fanatisme religieux, les violences policières, l’amour psychotique, etc. Qui trop embrasse mal étreint, et on a rapidement le sentiment de papillonner d’un thème à l’autre, épisode après épisode, sans jamais aboutir à quoi que ce soit de profond, et donc de satisfaisant.

Mais là où le cinéphile un tant soit peu exigeant pourra réellement grincer des dents, c’est vis-à-vis des choix formels de l’équipe de Little Marvin : Eux témoigne d’un goût exagéré pour le spectaculaire et les effets d’impact – ce qui s’avère terriblement contreproductif quand on veut pointer les dégâts intimes de la violence sociale –, mais également de hautes ambitions esthétiques, clairement décalées par rapport à la rudesse de nombre de scènes qui restent d’une radicalité émotionnelle extrême. On ne peut qu’être frustrés par ce manque de réflexion sur la meilleure manière de raconter et de filmer des faits aussi importants – pour l’histoire américaine, qu’il est essentiel de regarder en face pour pouvoir l’affronter -, et ce d’autant plus que le scénario les mélange avec des poncifs fantastiques peu convaincants.

Avec un avant-dernier épisode frimeur et inutile – un flashback en noir et blanc expliquant assez lourdement l’un des aspects fantastiques de l’histoire – et un dernier épisode largement raté, agissant comme une véritable « redescente » après l’accumulation d’attentes qui a précédé, Eux nous abandonne pour laisse profondément déçus. Pire, la série a tendance à engendrer une plus grande confusion encore quant à ce panorama du racisme : est-ce que ce dont nous avons été témoins ici, et qui nous aura tellement horrifiés, correspond à une vérité historique, ou bien est-ce là simplement le délire de scénaristes manquant de la moindre éthique, qui ont cherché avant tout à nous choquer ?

Eux a été annoncée comme une série « anthologique », ce qui devrait permettre à Little Marvin et son équipe de corriger ces graves défauts qui dévalorisent leur travail. Il est important de nourrir une prise de conscience globale vis-à-vis du « Mal Absolu » que représentent le racisme et ses manifestations les plus extrêmes comme les plus anodines, et on attend donc beaucoup des prochaines saisons de Eux

Eric Debarnot

Eux (Them)
Série TV US de Little Marvin
Avec : Deborah Ayorinde, Ashley Thomas, Shahadi Wright Joseph…
Genre : Drame, fantastique
10 épisodes de 50 minutes mis en ligne (Amazone Prime) le 9 avril 2021