[Canal+] Hippocrate saison 2 : fulgurante plongée dans le mal-être hospitalier

On attendait la pandémie actuelle et la crise du système de santé qui en découle, au coeur de cette nouvelle saison de la série médicale française. Il n’en est (presque) rien, mais Thomas Lilti dépeint déjà un milieu au bord du gouffre, luttant avec ferveur au quotidien pour soigner et guérir leurs patients. Saisissant.

Hippocrate-saison-2
Copyright Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+

Dans son premier opus déjà impressionnant, le médecin généraliste Thomas Lilti proposait dans sa série Hippocrate, dérivée de son beau premier film au même titre, une descente presque infernale dans un volcan en phase d’éruption : les urgences d’un hôpital de banlieue parisienne défraîchi, où l’on suivait le parcours de jeunes internes en médecine, épaulés par leur chefs de service ou collègues plus expérimentés qu’eux. Tous étaient aux prises avec les problèmes professionnels (et un peu sentimentaux) du quotidien, avec en toile de fond la crise de l’hôpital public, secteur délaissé du gouvernement depuis un bail, et qui était ici crûment mis en lumière par des épisodes éreintants, de bruit et de fureur, qui tenaient plus du thriller humain que de la comédie romantique dans laquelle verse parfois son pendant américain Grey’s Anatomy.

hippocrate saison 2 Nouvelle salve récente pour les protagonistes : hiver 2019 (avant l’arrivée de la COVID-19), un problème de canalisation et d’inondation empêche le service des urgences de fonctionner, tout le monde se rapatrie en médecine interne qui craque déjà sous le poids des effectifs et des lits trop occupés. Le résultat tient de l’ordre du chaos : patients alités dans les couloirs, manque de matériel, personnels insuffisants et en souffrance constante… le premier épisode est frénétique, on en sort exsangue et malmené… et cela ne s’arrêtera jamais au cours de huit épisodes tendus, difficiles à regarder parfois, avec un rythme incroyable comme un polar humain où chaque minute compte, reste décisive et détermine les destins de chacun. En marge de ces moments de montée d’adrénaline, la série semble parfois vouloir reprendre son souffle, mais c’est dans ces instants plutôt silencieux ou calmes que le constat est le plus effrayant : ici, tout le monde va mal, ou semble contenir sa rage de ne pouvoir faire le travail de manière correcte, avec des patients qui n’osent plus se plaindre tant ils voient la difficulté du milieu, et avec des médecins proches du burn-out ou de la démotivation… les épisodes s’enchaînent et ce petit monde hospitalier et attachant semble démuni face à leur Titanic qui menace de percuter un iceberg imaginaire…

A défaut d’applaudir les soignants chaque soir comme cela se fera plus tard, on applaudit déjà Hippocrate et son réalisateur forcément connaisseur de son sujet, de confronter le téléspectateur à ce monde des urgences jamais vraiment très (re)connu, et de le ramener à sa spécificité française : les urgences, c’est le devoir de soigner chaque citoyen, l’humain avant tout. Mais pour cela, il faut des moyens. En cela, la série va bien au-delà d’un « Urgences » frenchy : elle apporte une volonté politique de documentariser la fiction, si bien qu’Hippocrate, en jouant sur le réalisme des situations précaires, est un miroir des failles du système public de santé bien plus cinglant que n’importe quel reportage sur le thème.

Et on applaudit aussi, du coup, tout un casting impeccable du staff médical : Zacharie Chasseriaud, fil rouge de la série en parfait interne parfois maladroit mais toujours proche des autres, Louise Bourgoin étonnante en interne un peu atone au départ (mais logique si on n’a pas oublié le final de la saison 1) mais qui va peu à peu revenir à la surface d’un métier prenant, et surtout Alice Belaïdi, parfaite en rêveuse d’urgentiste consacrée et qui se bat pour ses patients, tout en restant à l’écoute des soucis de ses collègues. Il faut enfin un nouveau pour relancer des saisons : c’est ici Bouli Lanners, qui fait une entrée fracassante en chef de service autoritaire et débordé par les situations. Il est tout simplement extraordinaire et crève l’écran à chaque apparition. Sans oublier les patients – les jeunes, les folles, les SDF, les ados footeux, les couples de vieux aux mœurs bizarres, les obèses en détresse, etc… tous sont inoubliables.

Une série française au rythme aussi incroyable, au casting impeccable et à la portée politique aussi sincère et rentre-dedans, c’est suffisamment rare pour être souligné. Et acclamé. Et si la crise sanitaire actuelle n’est pas encore vraiment abordée, les dernières scènes de la saison l’annoncent…ce qui promet une saison 3 à la fois passionnante et forcément dramatique. On a hâte.

Jean-françois Lahorgue

La rédaction est partagée au sujet de la série Hippocrate. A lire également, la lettre ouverte de Greg Bod à Thomas Lilti