« Endless Arcade » : Teenage Fanclub ou l’éternel retour

Onzième album studio pour le groupe écossais qui continue de labourer le sillon où il cultive seul, depuis les années 90, un savant mélange de graines de mélancolie et de pop, de références sixties et de noise, de pluie des highlands et de grisaille des émotions. Un album de cinquantenaires en paix avec eux-mêmes, qui complexifie l’exercice de chronique musicale.

Teenage Fanclub - Endless Arcade
© Donald Milne

Il y a des critiques plus difficiles que d’autres à écrire. Ainsi va-t-il du presque lumineux endless arcade des écossais de Teenage Fanclub. Pas à cause de la qualité musicale du disque, loin s’en faut. Mais en s’imposant avec une telle simplicité qu’il est presque impossible d’en écrire du bien sans tomber dans des mots éculés comme: « douce mélancolie », « crachin enveloppant » ou pire encore « classicisme classieux » que j’aurais pu ajouter en intro.

Endless ArcadePour son nouvel album depuis le temps où je découvrais Bandwagonesque et sa pochette fluo, dans la collection de disques du grand frère d’un pote, le groupe a cultivé deux incarnations. La première était mâtinée de rock, de pop, de presque noise; la seconde est rapidement devenue plus mature et voyait le groupe devenir presque folk, plus brumeux plus ambitieux musicalement mais moins immédiat mélodiquement.

Il n’est plus l’heure de se demander dans laquelle le groupe continue de piocher. Teenage Fanclub a (toujours eu) l’âge de raison et sa musique avec lui. Seule évolution majeure : le trio se mue au passage en duo créatif, puisque Gerard Love, a décidé de lâcher l’affaire un peu plus tôt dans le process . Et puisqu’il était aussi un des artisans des moments les plus énergiques du groupe, difficile d’imaginer un retour hargneux pour ce onzième rejeton de la discographie.

Norman Blake et Raymond Mc Ginley arpentent leur versant le plus méditatif, mais jamais contemplatif. Apaisé est le mot qui vient en tête. Toujours un poil plus mélodique que les chantres de la mélancolie folk, toujours trop peu pour prétendre revenir un jour aux premières amours noise. Et ils comblent l’absence dans le trio par l’enrichissement d’un clavier gallois comme dans une grande concertation des régions du Royaume Uni. Euros Childs leader de la pépite la plus discrète de la britpop Gorky’s Zygotic Mynci, sans doute aussi un de mes groupes préférés, vient ici prêter main forte. Mais comme lui aussi est réinventé Barrettien depuis le début de sa carrière en solo, pas de changement majeure au grand projet TF. Il prête ici ses compétences mélodiques derrières son piano, ajoutant un peu de douceur voire même de chaleur à la palette du groupe oscillant toujours entre du Beatles et de la musique de festival localiste.

Et je sais que tu te dis : « ok décrit comme ça, ca doit être un album rudement chiant. Next. »

Et c’est là que la magie opère. Non. Endless Arcade n’est pas qu’un album d’intello pour daron qui écoute France Inter. C’est ça qui agace autant que ça charme avec Teenage Fanclub, depuis une poignée d’albums.

Tu peux réécouter dix fois le dernier disque tu n’en sortiras ni lassé, ni jamais vraiment totalement enthousiaste (en plus c’est toujours mélancolique tu me diras). Ni vraiment dithyrambique, ni capable d’effacer le disque de la playlist de ton lecteur. Parce qu’en fait chaque écoute t’apporte un plaisir simple et efficace. Et la période pandémique tend à nous demander du plus’ manichéen, du plus tranché. Oui mais, tiens ils ont osé le clavecin, tiens l’harmonie des voix est superbe sur ce morceaux, on dirait un vieux Pink Floyd ou … Tiens on dirait grave du Beach Boys quand même ce riff, no… Tu peux y revenir cent fois, et cent fois tu y trouveras une source d’adhésion discrète, nouvelle. Cent fois et tu seras pourtant toujours incapable de fredonner aucune des mélodies a posteriori, alors que tu les vénères au moment où tu les écoutes. De la pure sensation Teenage Fanclub quoi. Mais ici juste amputé d’un membre historique, et enrichi d’un musicien tellement cousin qu’on s’en veut de ne jamais avoir vu la parenté, avant. Rien ne change et en fait, ca fait du bien. Le genre de disque que tu peux mettre en sirotant un verre de vin ou en fond de ta visio sur Zoom au boulot, quand les babillements de tes collègues de ce qui était avant un bureau t’insupportent (réflexe pandémique). Le genre de disque riche et simple, simple et beau, beau et doux, doux et triste.

Cent-et-unière écoute au casque: « ah ouais putain, sont chiadées les paroles qui parlent de déracinement et de la sensation de ne pas être à sa place nulle part, et de l’admettre. Ok bon point supplémentaire« . Mince elles disaient quoi ces paroles déjà, zut il est temps d’écrire la critique maintes fois repoussée.

A découvrir patiemment, comme on regarde pousser une graine d’aubergine après un mois de frimas et d’averses. 4 semaines de contemplation d’une terre brune sans vie, puis soudain petit plaisir béat et quotidien de constater que deux feuilles puis deux autres poussent dans le terreau musical.  Mais le genre de gageure à décrire en critique écrite.

Denis Verloes

Teenage Fanclub – Endless Arcade
PeMa / Beggars
Date de sortie : 30 avril 2021